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Chaque mois, l'essentiel de l'actualité du droit et de la gestion de la création artistique
  

Dieudonné : une atteinte à la dignité peut en cacher une autre !

Chaque mois, nous sélectionnons un article que nous mettons en ligne. Vous pouvez retrouver ces articles publiés chaque mois au sommaire du numéro correspondant

Cet article a été publié au numéro 239 correspondant à l'actualité du mois de janvier 2014.


Les passions s’étant apaisées, il est temps d’analyser sereinement l’ordonnance rendue par le Conseil d’État le 9 janvier 2014, qui a abouti à l’annulation du spectacle de Dieudonné intitulé « Le mur ».

Le 9 janvier 2014, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a suspendu l’arrêté du préfet de la Loire Atlantique portant interdiction du spectacle « Le Mur » qui devait se tenir le 9 janvier 2014 au soir à Saint Herblain. La décision a été rendue en début d’après midi. Le jour même, le Conseil d’État était saisi par le ministre de l’intérieur, une « audience » était organisée à 17 h, et une ordonnance rendue à 19 heures, annulant l’ordonnance du tribunal administratif de Nantes et confirmant donc l’interdiction du spectacle prononcée par le préfet (1).

La procédure du référé liberté dévoyée

Il est en premier lieu loisible de s’interroger sur la célérité avec laquelle la procédure devant le Conseil d’État a été diligentée. Une ordonnance rendue à 15 h 30 par le tribunal administratif de Nantes, une audience qui se tient à 17 h devant le Conseil d’État. Comment dans un tel délai les parties ont-elles pu échanger des mémoires et être en mesure d’organiser sérieusement leur défense ?

Il est en second lieu possible de s’interroger sur la compétence du conseil d’État à traiter, dans le cadre de la procédure du référé liberté et dans le délai de 48 heures prévu par ce texte, d’une demande de nullité d’une ordonnance de référé par le biais d’une procédure d’appel d’un référé liberté qui n’est en principe pas ouverte à l’administration.

L’article L.521-2 du code de justice administrative énonce en effet que « saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toute mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de 48 heures. »

En l’espèce, le préfet de la Loire Atlantique avait bien porté atteinte à la liberté d’expression de Dieudionné, dont la liberté artistique est une composante. La procédure d’urgence du référé liberté, initiée par l’artiste était donc parfaitement recevable. En revanche, sur quel fondement le Conseil d’État a-t-il pu statuer en trois heures dans le cadre d’une procédure d’urgence dénommée "d’appel", diligenté par le ministre de l’intérieur, d’une décision qui lui était défavorable, rendue dans le cadre d’un référé suspension?

En effet, l’appel d’un référé administratif remet les choses en l’état et doit répondre aux mêmes critères que la procédure de première instance. Or, le spectacle n’étant plus annulé, il n’y avait plus d’atteinte à une liberté fondamentale commis par une personne morale de droit public au sens de l’article L.521-2 précité, et plus d’urgence (l’ordonnance rendue par le tribunal administratif de Nantes qui avait annulé la décision du préfet interdisant le spectacle était exécutoire de droit). Le juge des référés du Conseil d’État n’a donc pas pris une « mesure nécessaire à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit publique aurait porté atteint ». Il a au contraire prononcé une interdiction de spectacle en annulant dans le cadre d’une procédure d’urgence non prévue à cet effet une ordonnance rendue par une autorité publique, le tribunal administratif de Nantes, qui avait quant à lui souhaité sauvegarder une liberté fondamentale !

L’ordonnance de Monsieur Bernard STIRN, président du contentieux du Conseil d’État, n’est d’ailleurs pas rendue sur le fondement de l’article L.521-2, mais sur le fondement d’un risque de trouble à l’ordre public et sur le fait qu’il appartiendrait à l’autorité administrative de prendre les mesures de nature à éviter que des infractions pénales soient commises. Cette motivation est étrangère aux prévisions du référé liberté et n’aurait jamais du être rendue dans la procédure d’extrême urgence prévue de façon dérogatoire par ce texte. En effet, seule l’atteinte portée aux libertés fondamentales d’un justiciable par une administration publique justifie le très bref délai du référé liberté.
Monsieur Bernard STIRN a donc totalement tordu le coup à la procédure de référé liberté sur la base de laquelle la procédure avait été diligentée. Il pourrait encourir, de ce fait, outre des poursuites pénales sur le plan personnel, une critique sérieuse de la part de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Nous ignorons si elle a été ou non saisie, mais le délai le permettant n’est pas forclos.

L’appel du ministre était irrecevable !

L’ordonnance du tribunal administratif de Nantes ayant annulé la décision du préfet de la Loire Atlantique d’annulation du spectacle, les conditions de l’article L.521-2 du code de justice administrative autorisant une procédure d’urgence n’étaient plus réunies. Le ministre de l’intérieur ne pouvait pas faire appel de l’ordonnance rendue le 9 janvier 2014. Dans cette procédure, seul le justiciable se fondant sur un atteinte à une liberté fondamentale et dont la requête a été rejetée dispose de la possibilité de faire appel. Le ministre pouvait uniquement se pourvoir en cassation devant le Conseil d’État, qui devait se limiter au contrôle de la motivation suffisante de la condition d’urgence et sur le fond à un contrôle de l’erreur de droit et de la dénaturation.

Le référé liberté n’a pas été institué pour sauvegarder le droit de l’administration à porter atteinte à la liberté d’expression d’une personne privée !

Ces règles de procédure sont d’ailleurs clairement présentées par le site Internet « Service-Public.fr », le site officiel de l’administration française qui précise dans ses développements relatifs aux possibilités de recours en matière de référé liberté, qu’« en cas de rejet de sa demande, le demandeur peut faire appel devant le conseil d’État dans un délai de 15 jours. » et que « l’administration peut également se pouvoir en cassation si l’ordonnance lui est défavorable. » (2).

En acceptant de traiter cette affaire sur le fondement d’un d’appel du ministre de l’intérieur, lequel n’aurait pas du être recevable, Monsieur Bernard STIRN s’est aménagé le droit de faire usage des dispositions de l’article R.522-13 du code de justice administrative lui permettant de rendre sa décision de référé exécutoire dès que rendue, sans même la signifier officiellement aux parties intéressées. Cela lui a permis d’empêcher la tenue du spectacle prévu pour le jour même. Un tel résultat n’aurait pas été possible dans le cadre de la procédure de cassation, qui n’aurait jamais pu être finalisée dans le journée puisque la loi prévoit un délai de quinze jours et qu’un échange de mémoires écrits est obligatoire. En tout état de cause, il aurait fallu trouver un motif de cassation.

La célérité extrême de la procédure utilisée n’a sans doute pas permis aux avocats au Conseil d’État et à la Cour de Cassation de soulever les questions de procédure que nous avons mises en exergue.

Monsieur Manuel WALLS, en diligentant un appel contre cette ordonnance, et Monsieur Bernard STIRN en le recevant et en utilisant cette procédure d’urgence extrême, pourraient s’être rendus coupables de faits d’abus d’autorité, prévus par les articles 432-1 et 432-2 du code pénal (3), passibles de 10 années d’emprisonnement, outre pour Monsieur WALLS, de la Cour de justice de la République. Étant donné la qualité de ces personnes, et le caractère particulièrement astucieux de ce contournement de la loi, il parait fort peu probable que ces deux juristes de haut niveau n’ait pas sciemment détourné les procédures.

Une motivation étrangère au cadre du référé liberté


Monsieur STIRN a jugé uniquement des faits tels que présentés par le Préfet de la Loire Atlantique et n’a absolument pas statué sur la validité de l’ordonnance rendue par le tribunal administratif de Nantes. La motivation de son ordonnance est totalement dénuée d’ambiguïté. Il considère que : « pour interdire la représentation à Saint-Herblain du spectacle « Le Mur », précédemment interprété au théâtre de la Main d’Or à Paris, le préfet de la Loire-Atlantique a relevé que ce spectacle, tel qu’il est conçu, contient des propos de caractère antisémite, qui incitent à la haine raciale, et font, en méconnaissance de la dignité de la personne humaine, l’apologie des discriminations, persécutions et exterminations perpétrées au cours de la Seconde Guerre mondiale ; que l’arrêté contesté du préfet rappelle que M. Dieudonné M’Bala M’Bala a fait l’objet de neuf condamnations pénales, dont sept sont définitives, pour des propos de même nature ; qu’il indique enfin que les réactions à la tenue du spectacle du 9 janvier font apparaître, dans un climat de vive tension, des risques sérieux de troubles à l’ordre public qu’il serait très difficile aux forces de police de maîtriser ; »

« que la réalité et la gravité des risques de troubles à l’ordre public mentionnés par l’arrêté litigieux sont établis tant par les pièces du dossier que par les échanges tenus au cours de l’audience publique ; qu’au regard du spectacle prévu, tel qu’il a été annoncé et programmé, les allégations selon lesquelles les propos pénalement répréhensibles et de nature à mettre en cause la cohésion nationale relevés lors des séances tenues à Paris ne seraient pas repris à Nantes ne suffisent pas pour écarter le risque sérieux que soient de nouveau portées de graves atteintes au respect des valeurs et principes, notamment de dignité de la personne humaine, consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par la tradition républicaine ; qu’il appartient en outre à l’autorité administrative de prendre les mesures de nature à éviter que des infractions pénales soient commises ; qu’ainsi, en se fondant sur les risques que le spectacle projeté représentait pour l’ordre public et sur la méconnaissance des principes au respect desquels il incombe aux autorités de l’État de veiller, le préfet de la Loire-Atlantique n’a pas commis, dans l’exercice de ses pouvoirs de police administrative, d’illégalité grave et manifeste.»

Monsieur STIRN ne consacre pas une ligne de son ordonnance à contester la décision du juge des référés du tribunal administratif de Nantes.

Une atteinte à un droit fondamental protégé par le droit européen

Sur le fond, l’ordonnance de Monsieur STIRN ne respecte pas l’article 13 de la charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne qui énonce le principe de liberté d’art. Le Parlement Européen a précisé que cette liberté artistique doit pouvoir s’exprimer dans le même cadre que la liberté de la presse, c’est à dire sans aucun contrôle a priori.

Avec cette jurisprudence, on pourrait interdire la totalité de la presse people qui se fait régulièrement condamner pour atteinte à la vie privée. On pourrait interdire le Canard Enchaîné, le Monde ou Libération qui se font plus ou moins régulièrement condamner pour diffamation. On pourrait également interdire les cours de catéchisme de l’église catholique qui a vu un certain nombre de ses prêtres condamnés pour pédophilie. En effet, le maintien en activité d’une organisation qui contraint au célibat ses officiants et salariés crée un risque pénal tout à fait appréciable et l’autorité administrative devrait prendre les mesures de nature à éviter que des infractions pénales soient commises. Vu le nombre de poursuites pénales diligentées contre des élus d’un certain nombre de partis politiques, l’autorité administrative devrait également interdire les manifestations publiques de ces organisations qui font courir un risque certain à l’intégrité de la République.

Cerise sur le gâteau

Le signataire de l’ordonnance ayant interdit le spectacle de Monsieur DIEUDONNE, Monsieur Bernard STIRN est président de l’Opéra de Paris, Établissement public industriel et commercial, inscrit au registre du commerce et des sociétés, l’une des plus importantes entreprises de spectacles de France, l’une des plus importantes entreprises de spectacle subventionnée de France, et ne dispose peut être pas d’une grande indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics.

Monsieur Bernard STIRN a donc interdit le spectacle d’une entreprise concurrente à la sienne.

Ce n’est pas la première fois que Monsieur Bernard STIRN vient au secours du gouvernement en faisant quelque peu abstraction des obligations de dignité et d’indépendance imposées par l’article R.131-1 du code de justice administrative.

En sa qualité de fonctionnaire, Monsieur Bernard STIRN pourrait également avoir contrevenu aux dispositions de l’article 25 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires qui interdisent la participation d’un fonctionnaire aux organes de direction d’une société industrielle et commerciale dans des conditions de nature à compromettre leur indépendance.

Il nous semble que Monsieur Bernard STIRN pourrait à ce titre également être poursuivi sur le fondement des articles 432-1 et 432-2 du code pénal.

Ce n’est pas la première fois que Monsieur Bernard STIRN agit de la sorte. En 2007, il avait infirmé un arrêt de la cour d’appel d’Aix en Provence, confirmant un jugement du tribunal administratif de Marseille, qui avait annulé les subventions du festival d’Aix en Provence, dont il avait profité puisque l’une des opérations était réalisée en coproduction avec l’Opéra de Paris qu’il présidait déjà (4).



Roland LIENHARDT
Avocat au barreau de Paris

(1) Ordonnance de référé du 9 janvier 2014, n° 374508.
(2) http://vosdroits.service-public.fr/particuliers/F2551.xhtml
(3) L’article 432-1 du code pénal énonce que « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique, agissant dans l’exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec à l’exécution de la loi est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. »
L’article 432-2 précise que « l’infraction prévue à l’article 432-1 est punie de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende si elle a été suivie d’effet. », ce qui a été le cas en l’espèce, puisque l’utilisation par l’administration de référé en liberté sur l’appel d’une ordonnance défavorable à l’administration a permis l’interdiction de plusieurs spectacles.
(4) Voir La Lettre de Nodula, septembre 2007 p. 1503, commentaire de l’arrêt du Conseil d’État du 6 avril 2007, n° 284736. http://www.nodula.com/Article_du_mois169.html.


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