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Chaque mois, l'essentiel de l'actualité du droit et de la gestion de la création artistique
  

Légalité des subventions : quant le ministère de la culture monte au créneau

Chaque mois, nous sélectionnons un article que nous mettons en ligne.

Cet article a été publié au numéro 169 du mois de Septembre 2007


Par un arrêt en date du 6 avril 2007, présenté comme « fondateur » par le ministère de la culture, le conseil d’État a considéré qu’une association gestionnaire de l’un des plus grands festivals de France n’était pas une entreprise, mais un service public administratif (1).

Ainsi que la ministre de la justice l’a récemment rappelé, si 66 % des français ne font pas confiance à leur justice, c’est qu’il existe des raisons. Cet arrêt en est une caricature. Si nous avons tardé à le commenter, c’est que nous avons à plusieurs reprises demandé au greffe du Conseil d’État, par écrit, la communication d’une copie de l’arrêt, et que nous ne l’avons à ce jour pas obtenue ! En effet, étant donné le nom et la qualité du magistrat ayant présidé l’instance, nous voulions vérifier les noms des autres magistrats ayant prêté leur nom à cet arrêt, mention qui ne figure pas sur la version disponible sur Legifrance.

Les faits : Le conseil municipal d’Aix-en-Provence a accordé à l’association pour le festival international d’art lyrique et l’académie européenne de musique d’Aix-en-Provence des subventions d’un montant respectif de six et deux millions de francs.

A la requête de plusieurs contribuables, la cour d’Appel administrative de Marseille a par arrêt en date du 4 juillet 2005,  annulé pour excès de pouvoir les délibérations accordant ces subventions.

La cour d’appel administrative de Marseille avait considéré que l’association pour le festival d’art lyrique et l’académie européenne de musique d’Aix-en-Provence s’était vu confier une mission de service public, et qu’une association ne pouvait exercer une telle mission et bénéficier à ce titre d’une subvention que si elle était liée à une personne publique par un contrat de délégation de service public conclu soit en application des dispositions des articles 38 et suivant de la loi du 29 janvier 1993 (2),  soit en application des articles L. 1411-1 et suivants du code général des collectivités locales.

La commune d’Aix-en-Provence s’étant pourvue en cassation contre cet arrêt devant le Conseil d’État, ce dernier a considéré que la cour administrative d’appel avait entaché son arrêt d’une erreur de droit. Alors que les arrêts du Conseil d’État sont en général fort courts, et que cette instance annule en général sur la base du premier moyen efficace sans examiner le reste des arguments, le conseil d’État présente dans cet arrêt une série d’arguments, parfois inconciliables les uns vis-à-vis des autres et conclut qu’il résulte de tout ce qui précède que la cour administrative d’appel avait commis une erreur de droit, sans que l’on sache réellement l’argument déterminant de cette décision.

1°. Le Conseil d’État commence par considérer que « lorsque des collectivités publiques sont responsables d’un service public, elles peuvent, dès lors que la nature de ce service n’y fait par elle-même obstacle, décider de confier sa gestion à un tiers ; qu’à cette fin, sauf si un texte en dispose autrement, elles doivent en principe conclure avec un opérateur, quel que soit son statut juridique et alors même qu’elles l’auraient créé ou auraient contribué à sa création ou encore qu’elles en seraient membres, associés ou actionnaires, un contrat de délégation de service public ou, si la rémunération de leur cocontractant n’est pas substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du service, un marché public de service ; qu’elles peuvent toutefois ne pas passer un tel contrat lorsque, eu égard à la nature de l’activité en cause et aux conditions particulières dans lesquelles il l’exerce, le tiers auquel elles s’adressent ne sauraient être regardé comme un opérateur sur un marché concurrentiel ; »

C’est le premier argument du Conseil d’État, un festival international d’art lyrique ne serait pas un opérateur intervenant sur un marché concurrentiel. Nous pensions pourtant qu’un festival était une entreprise de spectacles, qui produit et représente des spectacles, et que la production de spectacles était en France une activité concurrentielle.

D’autant que cette notion doit s’apprécier au regard de ce que l’on nomme le marché pertinent, c’est-à-dire le marché auquel s’adresse réellement le festival.

De plus, l’activité de spectacles publics est définie à l’article L. 110-1.6° du code de commerce comme étant une activité réputée commerciale.

L’activité d’enseignement musical de l’académie de musique, celle de production et de diffusion de spectacles, disques et DVD du festival international d’art lyrique sont en conséquence des activités commerciales, et réalisées dans un marché hautement concurrentiel. Il n’est qu’à voir le nombre de festivals qui se disputent chaque été les faveurs du public.

D’ailleurs, Monsieur Bernard STIRN, président de la section du contentieux du conseil d’État, dont le nom figure en cette qualité sur cet arrêt ne peut l’ignorer, puisqu’il est par ailleurs président de l’Opéra National de Paris (3), qui a encore récemment réalisé une coproduction avec le festival d’Aix-en-provence, dont un DVD a été commercialisé en 2005 chez Harmonia Mundi. Monsieur Bernard STIRN est déclaré au registre du commerce et des sociétés de Paris comme président de cette entreprise industrielle et commerciale qui a contracté avec le festival d'Aix pour la réalisation d'une opération commerciale. Monsieur Bernard STIRN manquait peut être de l’impartialité et de la dignité à même de lui permettre d’avoir une analyse objective de cette question .

Ce n’est cependant pas le seul argument retenu par Monsieur STIRN.

2°. Le Conseil d’État considère ensuite que « lorsqu’elles sont responsables d’un service public, des collectivités publiques peuvent aussi décider d’en assurer directement la gestion ; qu’elles peuvent à cette fin, le gérer en simple régie, ou encore, s’il s’agit de collectivités territoriales, dans le cadre d’une régie à laquelle elles ont conféré une autonomie financière et, le cas échéant, une personnalité juridique propre ; qu’elles doivent aussi être regardées comme gérant directement le service public si elles créent à cette fin un organisme dont l’objet statutaire exclusif est, sous réserve d’une diversification purement accessoire, de gérer ce service et si elles exercent sur cet organisme un contrôle comparable à celui qu’elles exercent sur leurs propres services leur donnant notamment les moyens de s’assurer du strict respect de son objet statutaire, cet organisme devant en effet être regardé comme n’étant pas un opérateur auquel les collectivités publiques ne pourraient faire appel qu’en concluant un contrat de délégation de service public ou un marché public de service ; qu’un tel organisme peut notamment être mis en place lorsque plusieurs collectivités publiques décident de créer et de gérer ensemble un service public. »

Cet argument pourrait sembler a priori plus solide. Ainsi, le conseil d’État, dans un arrêt du 21 mars 2007 (4) a considéré que « lorsqu’une personne privée est créée à l’initiative d’une personne publique qui en contrôle l’organisation et le fonctionnement et qui lui procure l’essentiel de ses ressources, cette personne privée doit être regardée comme transparente et les contrats qu’elle conclut pour l’exécution de la mission de service public qui lui est confiée sont des contrats administratifs. » Dans cette affaire, le Conseil d’État a considéré que la cour d’appel avait jugé que les circonstances de la création de l’association, les modalités de son organisation et de son fonctionnement, l’origine de ses ressources, ainsi que le contrôle exercé sur elle par la commune conduisaient à la regarder comme un service de cette dernière. Il s’agissait de l’association de gestion de la patinoire et de la piscine de BOULOGNE-BILLANCOURT.

Or, une telle analyse n’était absolument pas transposable en l’espèce. Ainsi que le relève d’ailleurs l’arrêt du Conseil d’État du 6 avril 2007, l’association du festival d’Aix-en-Provence a été créée par l’État, la région Provence-Alpes Côte d’Azur, le département des Bouches-du-Rhônes et la commune d’Aix-en-Provence. L’association se compose actuellement de trois représentants de l’État, de quatre représentants de collectivités territoriales et de cinq personnalités qualifiées, dont une est nommée par le maire d’Aix-en-Provence, et trois par le ministre chargé de la culture, ainsi, que le cas échéant de membres actifs ou bienfaiteurs ou encore d’entreprises.

Il n’est donc pas possible d’affirmer que la ville d’Aix-en-Provence peut exercer sur cette association un contrôle équivalent à celui qu’elle exerce sur ses propres services, puisque l’association est composée d’entités juridiques distinctes aux intérêts parfois contradictoires. La nomination des responsables de cette association fait d’ailleurs régulièrement l’objet de vifs débats entre les tutelles, et la commune ne gère absolument pas cette association, dont elle n’assure qu’une partie du financement, comme un de ses propres services. Le site internet du festival (site ayant choisi un suffixe en « .com ») ne présente absolument pas le festival comme un service de la ville d’Aix-en-Provence.

De surcroît l'analyse du Conseil État fait totalement abstraction des dispositions de l'article 3 de la loi du 1er juillet 1901 qui énonce que "Toute association fondée sur une cause ou en vue d'un objet illicite, contraire aux lois, (...) est nulle et de nul effet". Lorsque des collectivités territoriales et l'État créent une association selon la loi de 1901 pour débudgétariser une activité et, comme elles le reconnaissent souvent, sortir des contraintes de la comptabilité publique et de la fonction publique, pour intervenir dans un cadre de droit privé, un tel comportement relève des prévisions de cet article 3 de la loi du 1er juillet 1901.

Le conseil d’État considère que l’association du festival doit être regardé comme une entreprise « in house ».

Une telle position n’écarte absolument pas le droit de la concurrence, bien au contraire

En effet, si l’association des festivals doit être regardée comme « in house » et ne pas être considérée comme une entreprise industrielle et commerciale, la commune n’a effectivement à respecter à son égard ni les dispositions du code des marchés publics, ni les dispositions du Code général des collectivités territoriales relatives aux délégations de service public mais cette association doit alors elle-même être regardée comme un pouvoir adjudicateur, et appliquer dans ses relations avec les tiers soit le code des marchés publics, soit les dispositions de l’ordonnance 6 juin 2005 (5), ce qui compliquerait singulièrement la gestion de ces festivals. Il est beaucoup plus simple de conclure un marché ou une délégation de service public avec les collectivités territoriales, à l’issue d’une procédure de mise en concurrence, et de pouvoir ensuite gérer l’activité dans le cadre du droit privé. De plus, si l’on prête vie à cette analyse du Conseil d’État, tous les contrats passés par le festival doivent désormais être considérés comme des contrats administratifs...

Un troisième fondement en contradiction avec les deux premiers

Le conseil d’État considère « en outre que, lorsqu’une personne privée exerce, sous sa responsabilité et sans qu’une personne publique en détermine le contenu, une activité dont elle a pris l’initiative, elle ne peut, en tout état de cause être regardée comme bénéficiant de la part d’une personne publique de la dévolution d’une mission de service public ; que son activité peut cependant se voir reconnaître un caractère de service public, alors même qu’elle n’a fait l’objet d’aucun contrat de délégation de service public procédant à sa dévolution, si une personne publique, en raison de l’intérêt général qui s’y attache et de l’importance qu’elle revêt à ses yeux, exerce un droit de regard sur son organisation et, le cas échéant, lui accorde, dès lors qu’aucune règle ni aucun principe n’y font obstacle, des financements. »

Alors que le Conseil d’État venait de considérer que l’association n’avait pas d’autonomie par rapport à la ville, il affirme dans le cadre de cet argument l’exact contraire !

Le Conseil d’État décide ensuite de ne pas renvoyer l’affaire auprès d’une autre cour administrative d’appel (on le comprend), mais de juger l’affaire au fond. Il décide d’une part que l’association du festival d’Aix-en-Provence est un service public culturel administratif, et que les dispositions de l’article L.1411-2 du Code général des collectivités territoriales relatives aux délégations de service public n’avaient donc pas matière à s’appliquer.

Le conseil d’État règle le contentieux en énonçant que le service public culturel du festival d’Aix-en-Provence n’est pas une entreprise. Cela implique tout d’abord que les dispositions de l’article L.2224-2 du CGCT qui limitent la possibilité pour une commune de prendre en charge dans son budget des dépenses d’un service public à caractère industriel et commercial ne peuvent être utilement invoquées. Cela implique ensuite que les articles L. 1511-1 et suivants du CGCT qui ont pour objet de réglementer les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales peuvent apporter des aides à des entreprises doivent eux aussi être écartés, puisque « l’association, dont l’activité exclusive est de gérer, à la demande des collectivités publiques qui l’ont créée et sous leur contrôle, le service public du festival international d’Aix-en-Provence ne saurait être regardée comme une entreprise ».

Cette position est d’une part absurde au regard de la réalité de l’activité du festival d’Aix-en-Provence qui est une entreprise de spectacles, qui doit en principe être titulaire d’une licence d’entrepreneur de spectacle, qui vend des places de spectacles, des produits dérivés, de la communication, dont le personnel est embauché dans un cadre de droit privé.

Cette position est également en contradiction avec la notion d’entreprise telle qu’elle résulte de la définition européenne relative aux aides d’États (6). Doit être considérée comme une entreprise toute entité, indépendamment de sa forme juridique, qui exerce une activité économique. Qu’elle soit qualifiée d’industrielle et commerciale, ou de service public administratif, l’association qui gère un festival de renommée internationale, ses productions, sa billetterie, ainsi que l’école de musique (l’académie), a une activité économique et doit être regardée comme une entreprise.

Cette décision du Conseil d’État nous semble de pure opportunité ; Monsieur Bernard STIRN a colmaté une brèche et le ministère de la culture a applaudi. Mais, cette décision pose plus de problèmes qu’elle n’en résout.

D’une part, rien n’interdit de critiquer ces mêmes subventions auprès des instances européennes comme étant des aides d’État illégales, et d’en demander la restitution.

Par ailleurs, le recours à une association selon la loi de 1901 pour gérer une activité reconnue par le Conseil d’État comme étant en réalité un service public administratif, alors même que la loi a créé les établissements publics de coopération culturelle, qui ont justement pour objet la gestion par plusieurs collectivités territoriales de manifestations culturelles, caractérise l’élément matériel du délit d’abus d’autorité, prévu et sanctionné par les articles 432-1 et 432-2 du code pénal de dix années d’emprisonnement. Ce délit sanctionne le fait pour une autorité publique d’organiser un contournement de la loi.

De plus, si l’association qui gère le festival est un service public administratif, ses responsables sont en situation de gestion de fait. Ils gèrent des fonds publics sans avoir la qualité de comptable public, ils pourraient être poursuivis et avoir à rembourser les sommes indûment perçues, la prescription étant de 30 ans !

La quasi totalité des contrats conclus par le festival avec ses partenaires pourrait être annulée puisqu’ils sont passés sans respect des procédures publiques de passation des contrats.

Il nous semble que cet arrêt "fondateur" ne clôture aucunement le débat.

Roland LIENHARDT
Avocat au barreau de Paris

(1) Conseil d’État, 6 avril 2007, n° 284736.
(2) Loi contre la corruption et pour la transparence dans les relations économiques, dite Loi SAPIN.
(3) Monsieur Bernard STIRN a été nommé au conseil d’administration de l’Opéra de Paris en qualité de représentant du ministère de la culture, et il se permet d’intervenir sur la légalité des subventions versées à une association qui, ainsi qu’il l’indique dans son arrêt, est créée par le ministère de la culture. L’Opéra de Paris ayant conclu des contrats de coproduction avec le festival d’Aix-en-Provence, ils ont la qualité d’associés.
(4) Conseil d’État, 7ème et 2ème Sous-sections réunies, (sous la présidence de Monsieur Jean-Marie DELARUE, n° 281796, Commune de Boulogne-Billancourt.
(5) Ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics.
(6) Annexe 1 au règlement (CE) n° 70/2001 de la commission du 12 janvier 2001, modifiée par le règlement (CE) n° 364/2004 du 25 février 2004.



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