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Chaque mois, l'essentiel de l'actualité du droit et de la gestion de la création artistique
  
Chapitre VI - Les maîtres du pantouflage


De nombreux responsables culturels encourent prison, amendes, et perte des droits civiques pour pantouflage


Les fonctionnaires et contractuels de l’administration sont tenus de respecter un certain nombre de règles qui garantissent la probité, le désintéressement et l'impartialité de l'État. Ces règles continuent de s'appliquer, au moins pendant un certain temps, lorsque des fonctionnaires quittent leur poste. La loi leur interdit en particulier d'exercer dans le secteur privé des activités considérées comme incompatibles avec leurs précédentes fonctions.

A ce propos, le ministre de la fonction publique a rappelé que le départ des agents de l'administration vers le secteur privé devait être à l'abri de toute critique.

Il n'est pas concevable que ces derniers soient nommés à la direction d’entreprises qu’ils avaient antérieurement pour mission de contrôler, voire parfois, de subventionner
.

Le Nouveau Code Pénal (NCP) punit les atteintes à l'administration publique commises par des personnes exerçant une fonction publique. Ainsi l'article 432-13 du NCP dans son alinéa premier dispose qu' "est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 Euros d'amende le fait, par une personne ayant été chargée, en tant que fonctionnaire public ou agent ou préposé d'une administration publique, à raison même de sa fonction, soit d'assurer la surveillance ou le contrôle d'une entreprise privée, soit de conclure des contrats de toute nature avec une entreprise privée, soit d'exprimer son avis sur les opérations effectuées par une entreprise privée, de prendre ou de recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux dans l'une des entreprises avant l'expiration du délai de cinq ans suivant la cessation de cette fonction ".

Sont visées toutes les entreprises soumises au droit privé. Il s’agit des sociétés commerciales, mais également des associations de la Loi 1901 et des Établissements Publics Industriels et Commerciaux (EPIC), par exemple l’Opéra de Paris ou le Centre national de la danse.

Les personnes de l'administration concernées par cette interdiction sont aussi bien les fonctionnaires en activité, que ceux placés en disponibilité ou ayant cessé définitivement leurs fonctions, les agents non titulaires de droit public, qui sont soit employés de manière continue depuis plus d'un an par l'État, une collectivité territoriale ou un établissement public, soit collaborateurs d'un cabinet ministériel ou du cabinet d'une autorité territoriale.

Si les décisions de justice sont encore rares, la pratique dite du pantouflage, elle, est assez courante, notamment dans le secteur de la culture où bon nombre d’anciens hauts fonctionnaires ou contractuels du ministère se retrouvent aujourd’hui directeur des festivals ou des établissements qu’ils étaient hier chargés de contrôler. Le Canard Enchaîné qui consacre une rubrique au pantouflage considérait en février 1997 qu'au moins une douzaine de hauts fonctionnaires se trouvaient dans cette situation.

On peut dire de ce chiffre qu'il est optimiste, car le ministère de la culture le dépasse à lui seul.

C'est ainsi que l'on a pu voir en 1991 des inspecteurs de la création artistique mettre en place une réforme (celle de la danse) dont ils ont été les principaux bénéficiaires économiques en quittant le ministère pour prendre la direction des établissements qu'ils avaient été chargés de contrôler et de mettre en place, donnant des consignes à leurs anciens subalternes pour que les textes ne soient publiés au Journal officiel qu'une fois leurs entreprises créées afin d'être les seuls à connaître les nouvelles dispositions.

Certaines des personnes que nous citons dans ce chapitre comme présumées en situation de pantouflage ne le sont pas forcément si l'association dans laquelle elles ont été nommées peut-être considérée comme fictive. Si tel était le cas, elles ne seraient pas exonérées pour autant et pourraient bien se retrouver alors en situation d'usurpation de fonction publique et de gestion de fait. La confusion qui règne au ministère de la culture concernant le simple respect des lois régissant les agents de l'État est telle que les délits que l'on peut stigmatiser émanent autant de personnalités parfaitement respectables et de bonne foi qui ont agi par ignorance sous l'empire du climat ambiant, que de personnes ayant pu avoir au contraire un intérêt malicieux à ces combinaisons.

Voici en tous cas quelques exemples de responsables qui nous paraissent en infraction :

Bernard FAIVRE D’ARCIER : Ancien directeur du théâtre et des spectacles au ministère de la culture de 1989 à 1992. Dans ses fonctions, il était notamment chargé de contrôler les festivals de théâtre. Nommé en juin 1992 directeur artistique du festival d'Avignon et directeur du Centre national du théâtre à Avignon, deux organismes dont il avait le contrôle dans ses fonctions au ministère. Son mandat a été reconduit le 10 février 1997.

Monsieur FAIVRE D’ARCIER a le statut d’administrateur civil et pourrait donc être sanctionné au titre de l’article L. 132-13 du nouveau Code pénal ou de l’article 175 de l’ancien code. L’action n’est en effet pas encore prescrite, puisque l’interdiction court cinq années après l’abandon des fonctions publiques et qu’il est possible d’agir dans les trois années suivant la constitution de l’infraction
.

André-Marc DELCOQUE FOURCAUD : Ce fonctionnaire a commencé sa carrière au ministère de l'économie et des finances avant d'être nommé chargé de mission auprès du directeur général du Centre national du cinéma. Directeur général de la Cinémathèque française, il devient ensuite chef du service de l'information et de la communication au ministère de la culture avant de devenir secrétaire général du Centre national du livre. En 1994, il est nommé directeur du Centre national de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême. Le CNBDI est une association selon la loi de 1901. Il s’agit donc d’une entreprise privée. Le Centre national du livre est un établissement public. Monsieur DELCOQUE FOURCAUD pourrait donc être en situation de pantouflage
.

Jean-François BOYER : Conseiller auprès du ministre de la culture DOUSTE-BLAZY, il a été nommé directeur général de l'IFCIC (Institut pour le Financement du Cinéma et des Industries Culturelles) société que l'on peut caractériser d'établissement financier. Il nous semble donc être également en situation de pantouflage...

Françoise DUPUY : Jusqu’en 1991, elle était inspectrice de la danse à la direction de la musique et de la danse du ministère de la culture, chargée de l’enseignement artistique. En 1991, elle se fait nommer Directrice de l’IFEDEM, organisme responsable de la mise sur pied du Diplôme d’État des danseurs professionnels. Il s’agit d’une entreprise privée très largement financée par le ministère de la culture et qu’elle a directement mise en place puisque c’est elle qui était chargée du dossier du Diplôme d’État au ministère de la culture.

Elle occupe ce poste jusqu’en 1995. Elle organise en 1990 la première session de formation au Diplôme d’État dont les dates d’examen sont fixées alors que le texte réglementaire permettant aux écoles de demander leur habilitation n’était même pas encore publié. Elle vient d’être nommée directrice de l’association de préfiguration du Centre national de la danse.

Dominique DUPUY
: Inspecteur de la danse au ministère de la culture jusqu'en 1991, nommé au Centre de recherche et de documentation chorégraphique de la Villette, il pourrait également être passible du délit de pantouflage.

Brigitte LEFEVRE
: Directrice de la danse à l’Opéra de Paris, elle a occupé le poste de déléguée à la danse au ministère de la culture jusqu’en septembre 1992. Elle est nommée ensuite administratrice de l’Opéra National de Paris où elle occupe actuellement le poste de directeur de la danse.

Le décret du 9 février 1994 qui fixe le statut de l’Opéra de Paris précise dans son article 3 que l’Opéra de Paris est un Établissement Public à caractère Industriel et Commercial (EPIC) placé sous la tutelle du ministre chargé de la culture. Il y a donc bien là situation de pantouflage.

Jacques BAILLON : Ex-directeur du théâtre et des spectacles jusqu’en novembre 1997, nommé directeur du Centre national du théâtre en janvier 1998. Il s'agit d'une association 1901 intégralement subventionnée par la direction du théâtre et des spectacles et pouvant être considérée comme transparente. Il n'y donc pas forcément pantouflage mais usurpation de fonctions publiques.

Anne CHIFFERT
: directrice de la musique et de la danse au ministère de la culture jusqu’en février 1998. Elle vient d’être nommée à la présidence de la toute nouvelle Cité de la danse . La Cité de la danse est un établissement public industriel et commercial. Il nous semble que dans un tel cas, le pantouflage n’est pas contestable. Monsieur Faivre d'Arcier nous confirme d'ailleurs cette analyse.
Martin EVEN : Ancien conseiller d'Hervé BOURGES au CSA, il vient d'être nommé responsable de l'unité théâtre, musique, danse et magazines culturels (sauf cinéma et littérature) à France 3. France 3 est une entreprise privée sous tutelle du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel qui est l'autorité de régulation de l’audiovisuel. Il semble donc bien qu'il y ait pantouflage.

Élisabeth PAULY : Déléguée générale de l’association pour les célébrations nationales et également membre du bureau de cette association en qualité de secrétaire générale, elle est par ailleurs conservateur général du patrimoine. Il est probable qu'elle encourt non seulement le pantouflage, mais également les sanctions liées à la prise illégale d’intérêt .

Nous terminerons cette liste, non exhaustive, par une personnalité politique qui en raison de ses fonctions, comme de ses hautes compétences juridiques, occupe une responsabilité de tout premier plan dans les situations dénoncées dans cet ouvrage.

Jack LANG :
Il pourrait lui aussi être en situation de pantouflage à propos du Piccolo Teatro de Milan.

Le Piccolo Teatro a perçu des sommes du théâtre de l’Europe, pour des programmations en 1992 et 1993, à l’époque où Jack LANG était ministre de la culture et où il contrôlait le théâtre de l’Europe. Le 11 Janvier 1997, Jack LANG est nommé directeur par intérim du Piccolo Teatro, à l’époque où il est en conflit avec la municipalité de Milan. Giorgio STREHLER démissionne d’ailleurs le 28 juin de son poste de directeur pour y revenir le 3 octobre 1997, deux mois seulement avant sa mort. Jack LANG décide quant à lui de poursuivre l'intérim ; il est prolongé dans ses fonctions par le conseil d’administration pour un an (au mois d’octobre 1997). Il nous semble donc que le délit de pantouflage soit consommé et que Jack LANG puisse être poursuivi pour ces faits. Il encourt notamment une sanction d'interdiction de toute fonction publique.

Mais revenons à cette amitié qui lie l’ancien ministre au théâtre de Milan. Déjà à partir de 1982, peu après l’arrivée de Monsieur LANG à la culture, le Piccolo Teatro, après trois années d’absence, revient au-devant de la scène à l’Odéon. Au même moment LANG décide de créer une structure de programmation supplémentaire pour l’Odéon, baptisée Théâtre de l’Europe sous la houlette de Giorgio STREHLER. Le Théâtre de l’Europe partage alors la programmation de l’Odéon avec la Comédie Française. Le Théâtre de l'Europe-Odéon programme des spectacles du Piccolo Teatro depuis 1975. L'année suivante, trois pièces de Giorgio STREHLER sont programmées et représentées plus de cinquante fois. Mais après 1978, le Piccolo n'apparaît plus dans les programmes. En 1978, on le retrouve encore metteur-en-scène pour un spectacle de la Comédie Française. À partir de 1982-1983, le Piccolo joue chaque saison de dix à trente représentations au Théâtre de l'Europe.

Mais le fait le plus intéressant se déroule entre 1985 et 1986. À cette époque, Giorgio STREHLER, directeur du Piccolo Teatro met en scène une pièce de Pierre Corneille, " l’Illusion ", coproduite par le Théâtre de l’Europe. Cette pièce sera programmée deux années de suite sur plus d’une centaine de représentations mais la première année, le spectacle ne se jouera pas, annulé au dernier moment pour raisons de santé. Ce spectacle est un spectacle ambitieux avec des décors et des costumes somptueux, le budget avoisine les 5 millions de francs. Les costumes et les décors ne seront pas utilisés bien qu’ils aient été fabriqués. Par ailleurs d’après une source bien informée : " Giorgio STREHLER n’aura que très peu mis les pieds au théâtre de l’Europe sauf pour les derniers filages, ses collaborateurs s’occupaient de tout, lui n’étant pas à Paris. Pourtant c’est bien lui qui était payé pour une prestation de metteur en scène ! " La saison suivante la même pièce " l’Illusion " est reprogrammée au théâtre de l’Europe mais avec d’autres décors.

Pour en terminer avec le Piccolo Teatro, Emmanuel HOOG , administrateur de l’Odéon d’août 1992 à juin 1997 (Source : service de presse de l’Odéon) et actuellement conseiller à la culture auprès de Laurent FABIUS, a été nommé récemment délégué administratif du Piccolo Teatro pour représenter Jack LANG. Il pourrait bien se trouver lui aussi en situation de pantouflage.

Si les pouvoirs publics veulent réintéresser les citoyens à la vie de l'État, recrédibiliser surtout les agissements des décideurs, élus ou fonctionnaires, ils ne pourront pas laisser sans suite de telles informations, ni faire l'économie d'un vrai débat sur cette grave confusion des genres.

 

© Roland LIENHARDT - 1998

 
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