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Chaque mois, l'essentiel de l'actualité du droit et de la gestion de la création artistique
  
II
Des établissements publics à statut privé
l'exemple de Châteauvallon


Des établissements " nationaux " à statut privé : perversion de la distinction public/privé dans le secteur culturel - le cas de Châteauvallon - caricature de la manipulation de la culture par les politiques de tous bords.

Et la culture dans tout ça ?


Un des débats essentiels entre le Front National (parti d’extrême droite français très présent sur la scène politique) et ses opposants concerne la gestion de la culture par les pouvoirs publics.

Ce débat occupe régulièrement le devant de la scène française avant ou après chaque élection. Les artistes en place craignent que le Front National nuise à leurs prérogatives artistiques et le Front National se fait fort quant à lui de mettre fin à ce type de culture. Ainsi depuis deux ans, les feux de l’actualité éclairent régulièrement le somptueux théâtre en plein air de Châteauvallon, en Provence.
Si le maire Front National de Toulon, Monsieur CHEVALLIER a pu contester le Théâtre " National " de la Danse et de l’Image de Châteauvallon, c’est que ce dernier existait dans un cadre juridique de droit privé non adapté à la gestion d’un établissement public à vocation nationale. Élevé en effet à la dignité de Théâtre National par François LÉOTARD, alors ministre de la culture, cet établissement était en réalité une simple association de droit privé.

La présentation de ce dossier est intéressante à plus d’un titre. Le maire de Toulon s’est bien gardé de mettre en avant les arguments juridiques, pourtant innombrables, qui lui auraient permis de clore rapidement et définitivement le débat.

Peut-être a-t-il eu peur que les arguments juridiques sur lesquels l’affaire a démarré et qui ont abouti à la crise se retournent également contre lui. Surtout, il entend intervenir lui aussi dans le secteur culturel comme l’on fait les différentes majorités de droite et de gauche depuis la création de la Cinquième République. Les élus des municipalités du Front National ont beau jeu d’interrompre les abonnements à Libération et autres revues présentées comme étant de gauche dans les bibliothèques des villes qu’ils détiennent, la gauche fait souvent de même avec les revues qu’elle qualifie de droite ou d’extrême droite.

En effet, le maire de Toulon s’est attaqué à Monsieur Gérard PAQUET, le fondateur et directeur du Théâtre, parce que ce dernier s’était opposé à la politique du Front National et que l’élu voulait donner une autre direction artistique et politique à Châteauvallon. Le Front National n’entendait pourtant pas changer grand chose à la situation. D’ailleurs, en février 1997, l’administrateur judiciaire a essayé de recruter un nouveau directeur par petites annonces, entendant ainsi poursuivre l’activité de Châteauvallon sans remettre vraiment en question le principe même de cette association.

Le vrai débat est donc largement dévoyé


D’un côté on critique surtout le contenu artistique, argument porteur auprès d’un certain électorat, mais on cherche des arguments juridiques parce qu’il est difficile de critiquer le contenu artistique devant un tribunal. Mais le Front National n’a pas analysé sérieusement ce qui a permis toutes les déviances critiquées, et il semble lui aussi refuser de s’engager réellement sur ce terrain.

De l’autre côté, c’est le front uni de tous les professionnels subventionnés qui crient halte au Front National en espérant que l’on focalisera suffisamment sur la " bête " pour que personne n’approfondisse. On crie donc à l’attaque frontale sur la culture, trop content que le Front National ait effectivement choisi ce discours. On évite surtout de répondre aux questions de gestion et de statut juridique, sur ce qui permet justement la main mise du politique sur la culture. La quasi-totalité des responsables culturels et des artistes qui sont régulièrement allés défendre Monsieur PAQUET à Châteauvallon soutient une certaine idée de la culture qui leur permet avant tout de disposer des finances publiques sans jamais avoir à en rendre compte au public et aux citoyens. D’autres croient aussi sincèrement s’opposer à une mainmise du Front National sur la culture, sans comprendre que ce qui est grave, c’est le contrôle du politique sur la culture, quel qu’il soit. La plupart de ces artistes et responsables culturels sont eux aussi dans des situations d’infractions pénales graves pour lesquelles ils devront peut-être dans un futur proche avoir à répondre.

Bien sûr, personne ne parle réellement de l’impact de Châteauvallon sur la population locale. Combien de Toulonnais ou d’habitants des environs parmi les manifestants qui ont apporté leur soutien à Gérard PAQUET ? Combien de spectateurs paient leur place, combien d’abonnés fréquentent le théâtre, on ne trouve pas ces données dans les dossiers de presse qui nous ont été communiqués.

L’intérêt du public n’a donc pas grand-chose à voir dans ce débat.
Pourtant, les termes du débat avaient été clairement posés par le préfet du Var, Jean-Charles MARCHIANI, à savoir, le non-respect par Châteauvallon des règles de marché public. En effet, confier la gestion d’une mission de service public culturel à une association constitue une délégation de service public.

Depuis la Loi SAPIN, (loi votée en 1993 par les socialistes et ayant pour but de lutter contre la corruption et pour la transparence dans les relations économiques), ces délégations doivent, à partir d’un certain montant financier, faire l’objet d’une procédure publique d’appel d’offres et d’une mise en concurrence .

Le préfet du Var avait d’ailleurs informé les élus que l’association CHATEAUVALLON - Théâtre National de la Danse et de l’Image (TNDI) - pourrait être considérée comme une association fictive. Cela avait pour conséquence de rendre applicables les règles de droit public et non les règles de droit privé. Mais cette voie, qui avait le mérite de poser les vrais problèmes juridiques qui font que la culture française est aujourd’hui en crise n’a pas été celle choisie par le Front National.

Bien qu'à l'époque le Préfet du Var ait reçu le soutien du Premier ministre, Alain JUPPÉ, la puissance occulte du lobby culturel et le caractère quasiment incommunicable médiatiquement de tout ce qui semble s'en prendre aux artistes ou aux intellectuels ont eu raison de ces velléités de clarification.

Monsieur PAQUET et le président de l’association, Monsieur Jean-Jacques BONNAUD, président du GAN, pouvaient être en situation de gestion de fait, comme l’avait compris le Préfet du Var.

En gérant des fonds mis à la disposition de l’association par les pouvoirs publics hors le cadre d’une délégation de service public au sein d’une association qui a effectivement été déclarée nulle par la Cour d’Appel de Grenoble, Messieurs PAQUET et BONNAUD auraient pu encourir les sanctions liées au délit de gestion de fait.

Sur le plan financier, la gestion de fait ne se prescrivant qu’après 30 ans, il serait également possible d’aller rechercher la responsabilité personnelle de François LÉOTARD et de Jack LANG qui ont subventionné une association qui peut être considérée comme fictive.

Cette qualification possible d’association transparente a également pour but de rendre passible de gestion de fait les fournisseurs ou prestataires du TNDI.


Le ministère de la culture n’a aucun intérêt à retourner le fer dans la plaie, et au delà à rechercher une solution à tous ces abus et délits. Le ministre, ainsi que le directeur de la musique et de la danse du ministère sont en effet exposés aux mêmes sanctions.

La genèse des événements

Comment en est-on arrivé à une telle situation ? Quelle est la genèse de pareilles déviances ?

L’association " Châteauvallon, Théâtre National de la Danse et de l’Image " a pour objet de mettre en œuvre les projets du Centre de Châteauvallon dans l’accomplissement des missions de service public qui lui sont confiés par l’État, la Ville de Toulon, la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur et le département du Var. Les statuts précisent que le Centre de Châteauvallon sera un lieu de création, de diffusion et de formation dans le domaine de la danse, de l’image et de la recherche pour le développement des industries culturelles.

Le problème, c’est que rien dans les statuts ne permet de savoir ce qu’est le Centre de Châteauvallon en tant que tel. Le Centre de Châteauvallon n’a pas d’existence juridique. L’association du Théâtre National de la Danse et de l’Image met donc en œuvre des projets au titre d’une entreprise qui n’existe pas.

On a formalisé les objectifs, pas la personne morale chargée de les atteindre. Les statuts précisent cependant que l’association a une mission de service public, qu’elle reçoit la disposition gratuite d’un patrimoine mobilier et immobilier bâti et non bâti.

Sachant que ces statuts ont été approuvés à la fois par le ministre de la culture et de la communication, le maire de Toulon et le PDG du GAN, on peut rester perplexe.

Cette association est dans les faits dirigée par le directeur, dont la nomination est soumise à l’agrément du ministre de la culture et du maire de Toulon. Il détient statutairement la responsabilité exclusive du choix des moyens d’actions propres à assurer la mise en œuvre de son projet artistique et culturel et toutes les délégations de pouvoir nécessaires à la gestion courante de l’association dans les limites fixées par le budget. Il signe seul les engagements de dépense et les contrats, y compris ceux concernant le personnel de l’établissement. Il exerce statutairement toutes les fonctions d’employeur.

Les ressources de l’association sont composées à 85 % de subventions. Et ce chiffre ne tient pas compte du patrimoine immobilier et mobilier mis à sa disposition par le syndicat intercommunal. Le budget annuel moyen de l’association est de 14 millions de francs.

L’assemblée générale de l’association ne peut modifier les statuts et le règlement intérieur de l’association, ni le contrat du directeur sans l’agrément du ministère de la culture et de la communication et du maire de Toulon.

Le Théâtre National de la Danse et de l’Image est presque intégralement financé par des fonds publics. Il est sous dépendance totale, du moins en théorie, des administrations qui le financent. Il est chargé d’une délégation de service public consistant à mener une action spécifique sur la danse et l’image.

Les pouvoirs publics créent de telles associations dans le but de se soustraire aux impératifs de la comptabilité publique, de ne pas avoir à respecter les règles liées à la fonction publique et de pouvoir ainsi nommer du personnel en toute liberté à des salaires librement négociés.

Si tant est qu’il signifie quelque chose, l’objet de cette association tel qu’il figure dans les statuts est également illégal, puisque l’association a une mission de service public en dehors de toute convention de service public légale.

Cette association nous semble donc fondée sur une cause et en vue d’un objet illicite et contraire aux lois. Elle est donc nulle et de nul effet en application de l’article 3 de la loi de 1901.

Ainsi que l’a énoncé Madame Catherine TRAUTMAN, actuel ministre de la culture à l’émission télévisée " 7 sur 7 ", " le droit d’association est une liberté qui relève de notre droit français et qu’il faut respecter ".

Il nous semble cependant que respecter le droit d’association, c’est respecter la loi de 1901 qui organise ce droit d’association. À notre avis, l’association Châteauvallon Théâtre National de la Danse et de l’Image n’est pas une association selon la loi de 1901, il s’agit d’un démembrement de l’administration dont la légalité est plus que douteuse; elle a d’ailleurs été annulée par la Cour d’Appel de Grenoble fin mars 1998. Les responsables de cette association et les pouvoirs publics qui la contrôlent et la financent encourent donc les conséquences liées à la qualification de gestion de fait.

À ce titre, le personnel de cette association est soumis aux obligations des fonctionnaires et personnels de droit public. Si le Théâtre National de la Danse et de l’Image avait été créé dans ce cadre juridique adéquat de droit public, le directeur de cette structure aurait dû être tenu au devoir de réserve, comme tous les fonctionnaires.

Il nous semble qu’il est sorti de son devoir de réserve en prenant publiquement position lors des municipales de 1995 contre la liste Front National qui se présentait à Toulon et en refusant au lendemain des élections les subventions accordées par la Ville de Toulon, ce qui a déclenché le conflit. Dans une démocratie, le fonctionnaire qui est payé par les fonds publics, s’il a des problèmes de conscience vis-à-vis de sa tutelle, est libre de démissionner.
Si le ministère de la culture avait respecté un tant soit peu le principe de légalité, un tel conflit n’aurait donc même pas pu exister.

Dès l’origine du conflit, le Front National a montré qu’en ce qui le concernait, le conflit était essentiellement une question de pouvoir.

En effet, s’il avait voulu être cohérent, le Front National aurait dû cesser immédiatement d’envoyer ses représentants siéger au conseil d’administration de l’association et la considérer comme nulle et de nul effet. Au lieu de cela, lors de l’assemblée générale du 12 juillet 1995, les représentants de la ville de Toulon ont voté le renouvellement du mandat du président.

Depuis cette date, les parties en présence se sont affrontées sur un terrain juridique qu’ils ont tous pris soin de bien délimiter. Chacun s’efforce à ne pas poser les vrais problèmes. D’ailleurs, sitôt annoncée la dissolution de l’actuelle association, le ministère de la culture a annoncé la création d’une nouvelle association, se délestant au passage de Gérard PAQUET qui était tout de même un poulain de l’écurie LÉOTARD, et en ne respectant à nouveau aucune procédure légale.

D’ailleurs, Jack LANG s’est bien gardé d’intervenir. Il avait en son temps demandé un audit de gestion et il s’est avéré que la gestion de Monsieur PAQUET était indéfendable.

Gérard PAQUET a bénéficié d’un outil qu’il a certainement contribué à élaborer et pour la gestion duquel il a été largement rétribué. Le Front National entend récupérer cet outil afin de pouvoir initier et contrôler sa propre programmation et bénéficier ainsi du pouvoir de communication attaché à la direction de cette institution. La stratégie de conquête du pouvoir du Front National ne peut sans doute ignorer ces bastions que se partagent les politiques au pouvoir.
Les démocrates n’ont rien à voir dans ce conflit. Je me permettrai de citer à nouveau Catherine TRAUTMANN, pour qui " la création artistique est profondément liberté ", et de compléter sa déclaration par l’article 4 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 :
" La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ".

Un ministère de la culture qui ne respecte aucune des bornes déterminées par la loi ne peut donc prétendre défendre le principe de liberté tel que défini par les institutions de notre République. La création artistique défendue par ce ministère de la culture est hélas aussi tronquée que la liberté dont elle se réclame. Il convient d’espérer que notre nouveau ministre de la culture accepte ce débat et ses conséquences innombrables pour l’avenir de notre culture, des créateurs et des artistes de culture française.


Pour conclure

Le degré d’émotion suscité par l’affaire de Châteauvallon au sein du monde de la culture a été exceptionnel. La crise engendrée aura bien sûr servi le Front National, qui réussit un coup médiatique, et paradoxalement servi Gérard PAQUET, ex-directeur du TNDI, qui est devenu un véritable symbole... Gérard PAQUET est applaudi à Strasbourg, où il apparaît, pour les manifestants anti-FN, comme un chantre de la résistance. Il est ovationné par les défenseurs de Châteauvallon et reçoit le soutien des toutes puissantes associations des conseillers et attachés en région du ministère de la culture. Ces dernières vont jusqu'à réclamer que l'État réaffirme les principes républicains qui fondent la mission du service public de la culture. Il fallait oser, quand on sait le non-respect généralisé par ce ministère de la règle de droit républicaine. Pétitions en rafale, manifestations... Le train de la liberté se met en route et la révolution gronde !
Tout cela n’a pas empêché le ministre de la culture de créer la nouvelle association destinée à récupérer Châteauvallon sans Monsieur PAQUET...

© Roland LIENHARDT - 1998

 
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