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Chaque mois, l'essentiel de l'actualité du droit et de la gestion de la création artistique
  
XVII
Une presse culturelle sous influence


Comment le ministère de la culture achète le silence de la presse culturelle - le manque d’indépendance des journalistes culturels - les ressources de la presse (publicité et aides diverses) - l'intégration des journalistes au système.

La France est riche d'une presse culturelle relativement abondante. Que ce soit en littérature, musique, opéra ou danse ou même en architecture, on trouve de tout au rayon culture des maisons de la presse. C'est un peu " La Samaritaine " des intellectuels. On y trouve de tout mais aussi malheureusement parfois, de rien.

À consulter certains magazines dits " culturels ", le commun des mortels s'ébaudit alors devant une production aussi abondante et se prend à douter de lui-même. Serait-il passé à côté de la véritable culture préconisée par certains journalistes ?

Il sombrera peut-être dans un abîme de perplexité en essayant de déchiffrer tel article sur l'explication psychanalytique (et très sérieuse) d'une nouvelle (et forcément géniale) mise en scène. Ou il se perdra dans les méandres insondables d'un sujet sur le " vécu et l'affect en relation avec la cohabitation matricielle ", tel qu'ont pu le savourer certains lecteurs il y a peu de temps.*

À supposer qu'il existe un lectorat pour ce type de littérature, est-il d'un volume suffisant pour assurer la viabilité de tels titres ? Quand on connaît les graves déboires d'une grande partie de la presse quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle, une conclusion s'impose : la plupart de ces parutions culturelles échappent à la loi de l'offre et de la demande et sont donc forcément subventionnées.

Il suffit pour s’en convaincre de relever tous les espaces publicitaires occupés par les innombrables organismes liés au ministère de la culture, théâtres, festivals, troupes, ballets, écoles. Une rapide analyse de quelques titres suffit à illustrer la totale dépendance de la presse culturelle envers la nébuleuse dans laquelle baigne le ministère de la culture.

Glissons sur un certain magazine " professionnel " des spectacles, La Scène, qui réussit le tour de force de vendre près de 70 % de son espace publicitaire (sur une pagination de 130 pages) à des annonceurs liés à l'État , et dans lequel on trouve presque systématiquement un " rédactionnel " consacré aux organismes ayant payé une publicité.

Concernant les magazines liés à la danse par exemple, la fourchette varie entre un ratio de 50/50 chez le moins subventionné (Danse magazine), et plus de 70 % vendu à des organismes liés à l'État chez Les saisons de la danse.

Entre ces deux extrêmes, Danser contient entre 50 et 60 % de publicités d’organismes publics.

Excepté un support lié au lyrique et à l'Opéra, qui comporte pas moins de 80 % d'espaces " subventionnés ", les magazines sur la musique se montrent un peu moins gourmands avec une fourchette variant entre 40 subventionnés/60 non-subventionnés (Lettre musicale) et 30/70 (Diapason).

Les pourcentages sont similaires pour les revues culturelles traitant d’autres disciplines. Le subventionnement oscille entre 30 et 70% en provenance de l'État ou de ses dérivés.

Une analyse rapide fait ressortir que le ministère de la culture subventionne les titres en question en proportion inverse de leur lectorat. Plus le support s'avère pointu et spécialisé, plus la part publicitaire " subventionnée " devient vitale pour la survie du titre qui ne perdure que grâce à cette mise sous perfusion d'argent public.

C'est effectivement le rôle de l'État d'apporter son soutien à des expressions importantes qui, sans lui, risqueraient de disparaître de la scène publique ou du débat du même nom, mais il devrait alors le faire de façon équitable et désintéressée.

Cela n'est malheureusement pas le cas. Le ministère de la culture a besoin d'articles de presse vantant les mérites de ses filiales de production ou de diffusion. Il a besoin d'une presse pour alimenter les dossiers par lesquels il justifie son action. C'est donnant-donnant : le ministère paie pour que l'on parle de lui et de ses créatures dans la presse.

Ces financements des pouvoirs publics ont souvent des effets désastreux. Ainsi, les années 1980 ont vu l'émergence du Mécénat d'entreprise. Les revues subventionnées spécialisées dans le domaine de la danse ont produit de très nombreux articles de presse sur les compagnies subventionnées par le ministère de la culture. Grâce à ces reluisants dossiers de presse, relayés sans doute par quelques appuis politiques, il a été facile de convaincre des entreprises privées de sponsoriser des spectacles de danse. Mais, à la différence d'un fonctionnaire, un chef d'entreprise a à répondre de ses choix devant son personnel et ses clients qu'il invite à aller voir les spectacles auxquels il a associé l'image de sa société. Or, dans la plupart des cas, la qualité artistique n'était pas au rendez-vous et la majorité des sponsors ont eu l'impression d'avoir été arnaqués par des dossiers de complaisance et ont depuis largement fui la danse.

Il sera très difficile de les y faire revenir. Les seuls sponsors répondant encore présents dans ce domaine sont des entreprises publiques qui sont en situation de monopole et auxquelles l'État demande des services.

Raphaël de GUBERNATIS, journaliste au Nouvel Observateur, et un des seuls critiques de danse à conserver sa liberté d'esprit, écrivait ainsi au sujet d’une des chorégraphes du ministère de la culture qu'il ne savait pas si elle savait chorégraphier, " mais qu'est-ce qu’elle communique bien ".

Face au pouvoir écrasant d'un partenaire tel que le ministère, la plupart des magazines culturels n'ont guère d’autre choix que de subir et profiter. Ils en oublient au passage leur principale raison d'être, découvrir et divulguer les événements de leur domaine, pour ne plus faire que de la communication institutionnelle. Une tendance déjà pressentie par un célèbre patron de presse un rien provocateur qui, il y a une dizaine d'années déjà, voyait dans les journalistes du futur " de simples agents de communication ".

Peut-on échapper à ce système ?

On l’a vu depuis une dizaine d’années, la publicité est le partenaire économique indispensable de la presse, qu’elle soit généraliste ou a fortiori, spécialisée. Le seul magazine grand public à tenter l’expérience de l'indépendance totale, L’Événement du Jeudi, n’a réussi à survivre qu’à travers une gestion collective un rien utopique et, depuis peu, grâce à la réapparition de quelques encarts publicitaires. À notre connaissance, un seul titre n’a jamais cédé aux sirènes de la publicité : le Canard Enchaîné.
Pour la presse culturelle, la question de cette autonomie n’est même pas envisageable. Tant que le ministère de la culture continuera à maintenir sous perfusion des titres qui fractionnent et éparpillent le marché, aucun support ne pourra tenir sans ces injections régulières. En échange de quoi, les titres sont invités, si ce n'est à renvoyer l'ascenseur, du moins à ne pas cracher dans la soupe. L’indépendance devient alors une notion virtuelle que seuls quelques rares journalistes peuvent se permettre. La critique, fonction essentielle de la démocratie, est tuée dans l'œuf.

Ceux qui refusent de faire obédience s’exposent généralement à deux types de rétorsion :
- le boycott publicitaire, aux conséquences suicidaires, surtout lorsqu’on touche un lectorat restreint ;
- le " black out " d'informations qui conduit au sabordage.

Dans le domaine de la danse, les seuls journaux indépendants, Danse Conservatoire, tout comme La Lettre de Nodula, ne sont jamais invités aux conférences de presse du ministère de la culture. On leur distille chichement les informations. Ils doivent dépenser une énergie considérable pour l’obtenir alors que les supports inféodés la reçoivent sans avoir à la solliciter.

Il est devenu maintenant quasiment impossible dans le secteur de la presse culturelle de faire entendre un autre son de voix, que le ron-ron officiel. Le système entier est bouclé et réservé à une bande d’élus où se côtoient régulièrement journalistes " grata ", attachés de presse, artistes... qui font en permanence mille grâces aux responsables du ministère, lesquels bien sûr sont inaccessibles pour les autres.

Un journaliste du " Figaro ", qui a réussi à obtenir un rendez-vous avec Anne CHIFFERT, directrice de la danse à la culture, la présente, dans son article, comme la " Muette du sérail musical " et poursuit " elle sait ce qu’elle veut et quels sujets elle refuse d’aborder... ". On comprend mieux pourquoi la plupart des articles parus dans la presse sur Anne CHIFFERT chantent ses louanges.

Tout est pour le mieux dans le meilleur des monde !

De la part d'une des responsables d'un ministère en charge de la culture et de la communication, cela nous semble tout à fait inacceptable .
Même l'accès aux conférences de presse des responsables du ministère est filtré, dûment réservé aux journalistes agréés...

Les places y sont chères et les nouveaux venus doivent avoir fait leurs preuves de docilité. Moyennant quoi, ils auront droit à la reconnaissance officielle et bénéficieront de tous les moyens possibles pour accomplir leur tâche ainsi que de quelques avantages annexes comme de confortables voyages de presse " tous frais payés ", des invitations V.I.P. aux spectacles, des envois de disques et de livres en pagaille...

À ce propos, une Chambre régionale des Comptes et l’Inspection générale des Finances se sont récemment émues devant l’importance de certaines notes de frais " plus que confortables " concernant le déplacement des journalistes à l’occasion d’opérations promotionnelles liées à la culture.

La première a fait cette remarque à l’occasion d’un contrôle de gestion du Ballet national de Marseille, où le rapporteur s’étonnait " des nombreuses dépenses concernant la prise en charge de journalistes ". Il reconnaissait l’avantage économique d’une couverture médiatique assurée à moindres frais, mais doutait " de l’objectivité des articles de presse rédigés par ces critiques ".
Quant à l'inspection des finances, elle continuait de s'interroger sur une facture de 46 828 F concernant l’invitation de deux journalistes parisiens à l'occasion du tournage d’une vidéo sur une star de la chorégraphie .

Même des journaux qui prétendent à l’indépendance, comme Libération sont dans le cadre de leurs rubriques culturelles, largement à la solde du ministre de la culture dont ils sont l’un des premiers partenaires médiatiques.

Difficile d’échapper à cet engrenage infernal à moins de disposer d’une trésorerie suffisante pour payer ses propres frais de reportages, sans échanges de services ni contreparties. L’indépendance a aujourd'hui un prix exorbitant qui ne devrait pas cesser d'inquiéter tous ceux qui croient dans la liberté d'expression.

Pratiquement aucun support culturel ne peut plus le supporter aujourd’hui.
Ainsi le spécialiste en archéologie méditerranéenne devra-t-il attendre l’invitation d’un croisiériste (lié à la culture) pour enfin découvrir le remarquable site archéologique de Butrint dans le sud de l’Albanie, et pouvoir ainsi écrire un véritable reportage vécu. Tel autre critique d’art médiéval se verra offrir une semaine sur un site prestigieux par le Conseil Général local.
" L’empêcheur de tourner en rond " sera tout simplement ignoré par le cercle des initiés, censuré... Il se verra imparablement refoulé par les services de presse et de communication des différentes délégations et ne sera que très rarement invité aux conférences de presses importantes et autres manifestations culturelles.

Grâce à ces réseaux de protections, nombre de journalistes ont développé de brillantes carrières à la fois dans la presse mais aussi dans l’organisation d'événements culturels. Un double investissement lourd d’ambiguïté. Peut-on, sérieusement, d’un simple point de vue déontologique, être le maître d’œuvre d’un festival ou d’un concert et dans le même temps l’auto-promotionner par le biais des médias ? Beaucoup ne se posent même plus la question.

La carrière actuelle d’un journaliste spécialisé dans la culture passe aussi par la participation aux commissions d’attribution des subventions ou par un poste d’attaché culturel à l’étranger ou par la direction d'un établissement. De très nombreux responsables d’institutions culturelles parapubliques sont ainsi issus de la presse.

Le ministère de la culture contrôle également la communication et la commission des agences de presse qui permet aux journaux d’exister en leur octroyant une réduction des coûts postaux.

Le ministère a d’ailleurs, par un décret du 13 novembre 1997, accru son emprise sur les entreprises de presse en limitant la durée de validité du certificat d’inscription à la commission paritaire des publications et agences de presse. Les commissions qui octroient les inscriptions sont composées de représentants de l’administration, mais également de représentants des organisations professionnelles de la presse les plus représentatives. Ceci oblige les créateurs de journaux à dévoiler leurs projets devant leurs concurrents pour bénéficier des aides de l’État...

Information ou communication ?

Quand on feuillette certains journaux culturels, on s’aperçoit que la plupart des sujets traités et des organismes présentés concernent également des annonceurs. Il est donc permis de se demander si le prix payé pour les insertions publicitaires n’intègre pas le rédactionnel. Ce qui fait que l'article devrait normalement être présenté comme du publi-reportage.

Puisqu'il n'existe pas de moyen commercial d'assurer l'indépendance de la critique, cet office devrait être pris en charge par la puissance publique elle même. Des instances de l'État, indépendantes du ministère de la culture devraient recevoir les recours et exercer un contrôle sur les conditions dans lesquelles l’argent de ce ministère circule.

Il en va à terme de la survie même de notre création et de notre pensée. Nous avions peut-être oublié que ce ministère s'appelle ministère de la culture et de la communication.

Il semble pourtant que l'information ne trouve pas sa place dans cet ensemble .

© Nodula - Roland LIENHARDT - 1998

 

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