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Chaque mois, l'essentiel de l'actualité du droit et de la gestion de la création artistique
  
XVI
Droit du travail à dynamique mafieuse
Les conventions collectives
des fabricants de
voitures rouges à pois blancs


Imaginez une convention collective des entreprises de fabrication de voitures jaunes, qui serait différente de la convention collective des fabricants de voitures rouges. Sans rire, c’est à cela qu’a abouti la réglementation mise en place par le ministère de la culture.

Le monde du spectacle se caractérise au niveau syndical par une très faible représentativité des salariés et par un éparpillement sans équivalent de la représentation patronale.

L’absence de représentativité du côté salarial s’explique aisément. Un artiste qui a la possibilité de faire carrière n'a souvent aucune envie de jouer autrement que sur des planches un rôle de permanent syndical.

Dans le spectacle, seuls les techniciens sont représentés par des syndicats dignes de ce nom. Il n’existe de réelles sections syndicales de musiciens ou de danseurs que dans les institutions officielles, telles que les opéras ou les orchestres nationaux. Les syndicats sont le plus souvent animés par des professeurs de conservatoire ou des militants venant de l’animation socioculturelle.

Le problème que posent les artistes, c’est qu'ils n’ont pas toujours conscience d’être des salariés. Hormis le fait qu’ils peuvent exercer leur profession en dehors de tout lien de subordination , ils ont en général des activités multiples. Un danseur, un musicien ou un acteur sera salarié dans une production pour la TV, il travaillera bénévolement pour le compte d’un ami qui se lance, il sera parfois lui-même chef d’entreprise ou directeur artistique dans le cadre du spectacle ou d’une production audiovisuelle qu’il produit et dans lequel il intervient comme metteur en scène, chorégraphe ou réalisateur.

Pour donner un exemple en matière de musique, l’artiste aura le plus souvent un statut de salarié. Mais il s’agit d’un salarié qui peut " envoyer paître " son patron en toute impunité. En effet, le producteur qui a investi sur un artiste n’a aucune envie de lui appliquer le droit du travail et de le licencier parce qu’il ne vient pas régulièrement aux séances de studio, même si cela lui coûte très cher. D’autant que même quand le produit est fini, on a encore besoin de l’artiste pour assurer la promotion. C‘est la raison pour laquelle on parle de caprice de stars. À l’opposé, avec un artiste non connu qui a absolument besoin d’un premier disque ou d’un premier film, le producteur se comportera parfois en toute impunité comme un esclavagiste.

La première difficulté dès que l’on essaie d’avoir une démarche syndicale est souvent de savoir si l’on se trouve dans le contexte d’un syndicat patronal ou salarial; cette démarche est tout de même assez spécifique aux secteurs de la création artistique. Dans une entreprise classique, c’est une question que l’on se pose en effet rarement.

À telle enseigne que certains syndicats, présentés comme patronaux par le ministère de la culture se révèlent être en fait des syndicats de salariés. Pour finir, le syndicat " patronal " le plus influent dans les secteurs du spectacle est un sous-marin du ministère de la culture composé de personnes qui devraient relever du statut de la fonction publique et non du droit privé.

De très nombreuses entreprises privées sont dans les faits des démembrements de l’administration, intégralement financés par des fonds publics. Ces entreprises ne peuvent donc avoir les mêmes soucis que des entreprises privées pour lesquels des particuliers investissent et prennent des risques. D’autres entreprises réellement privées ne vivent que de subventions et bénéficient de rentes de situation en dehors de toutes règles liées aux marchés publics. De nombreux secteurs économiques de la culture ne peuvent plus être considérés comme des marchés privés. Tout est faussé par l’intervention de l’État, vente à perte, non-respect des règles de concurrence, entreprises clandestines nombreuses, travail dissimulé, non-respect généralisé des lois sociales, et partant des conventions collectives de plus en plus nombreuses et en apparence hyper protectrices des droits des salariés.

À partir du moment où il n'existe pas de règle du jeu loyale, il est difficile pour des entreprises privées de se réunir dans un syndicat commun .

Comment deux écoles de danse par exemple pourraient elles se retrouver associées dans un syndicat professionnel alors que l’une d’elles salarie ses professeurs, paie la TVA, la taxe professionnelle et l’impôt sur les sociétés, fait passer chaque année la visite médicale obligatoire à ses élèves, respecte la réglementation sur l’emploi des mineurs quand elle produit des spectacles, tandis que l’autre ne paie pas la TVA, a recours à des professeurs non-salariés/faux travailleurs indépendants ou bien à des professeurs salariés comme artistes et bénéficiant à ce titre de l’aide des ASSEDIC. Les deux écoles sont pourtant habilitées à délivrer le diplôme d’État de professeur de danse et auraient dû subir à ce titre des contrôles sérieux. Visiblement, l’une d’elles passe au travers.

Le pire, c'est que tout le monde est obligé de s’aligner sur les tarifs pratiqués par les entreprises qui bénéficient de protections occultes de la part du ministère pour finir par quémander à leur tour des subventions car elle n'ont aucune chance de s’en sortir dans les conditions de concurrence qui leur sont faites. Le grand bénéficiaire de cette conjuration économique, c’est le ministère qui accrédite ainsi l’idée que le domaine n'est pas viable sans son aide et qui, partant, augmente ses subventions et le nombre des agents nécessaires pour les gérer, ainsi que son emprise sur le secteur.

L'équation que cette administration a créée est simple :

Si l'on veut respecter la loi, il n’est pas possible d’affronter la concurrence des subventionnés qui au-delà de l'argent qu'ils reçoivent, bénéficient aussi de passe-droits .

En sortant la culture de l’état de droit, en faisant éclater les marchés et en les remplaçant par des systèmes d’assistanat, la nomenklatura peut ainsi diviser et régner en maître.

L'émiettement des employeurs qui en résulte empêche l’émergence d’une critique sérieuse et organisée. Du côté " patronal ", il existe ainsi près de 70 organisations qui prétendent représenter les entreprises des secteurs de la création artistique.

Chaque secteur de la production artistique entend avoir sa propre organisation pour disposer ainsi d'un accès direct à la manne financière que le ministère prodigue à tous ceux dont il achète la collaboration. Dès qu’une organisation se crée, on l‘intègre ou plutôt on la normalise. De nombreuses organisations revendicatives ne sont dans les faits créées que dans ce seul but. La solution à tous les problèmes posés réside toujours dans l’octroi de subventions ou la création d’une commission, dans laquelle on nomme des responsables syndicaux, sélectionnés pour n’aborder que les sujets tolérés par les fonctionnaires du ministère, et sous l’angle dont ils acceptent qu’on en parle. Afin de faire plaisir aux professionnels en place, à ceux qui siègent dans les commissions et de les aider à protéger leur marché, le ministère de la culture a étendu un maximum de conventions collectives. Autant de conventions collectives que de cas à protéger. Elles sont pour la plupart inapplicables, donc appliquées de façon arbitraire par les fonctionnaires qui, pouvoir discrétionnaire aidant, n'en sont plus à une aberration près.

Des syndicats patronaux très sociaux

La culture est sans doute le seul secteur d’activité où un syndicat se présentant comme " patronal " fixe des rémunérations minimales pour les chefs d’entreprises, rémunérations que ses membres s’octroient quelle que soit la trésorerie des entreprises, lesquelles demandent ensuite à l’État de renflouer les déficits . Ces entreprises culturelles sont la plupart du temps dirigées par des directeurs salariés qui sont en réalité les véritables responsables mais qui ne veulent évidemment pas en assumer les risques.
Le Syndicat National des Directeurs de Théâtre Public qui regroupe les entreprises de spectacles dont les finances sont majoritairement assurées par les collectivités territoriales est à peu près dans la même situation. En effet, les chefs d’entreprises juridiquement responsables sont le plus souvent les maires des communes ou les présidents des associations de gestion de ces théâtres.

L'administration du ministère du travail s’est récemment interrogée sur la réelle qualité d'employeur des directeurs de théâtres du SYNDEAC. La question ayant été plus ou moins soulevée. Mais cela n'est pas allé plus loin, le SYNDEAC étant une organisation historique reconnue comme patronale par les syndicats représentatifs des salariés.

Ces derniers n'auraient d’ailleurs aucun intérêt à le contester. Il est plus facile d’obtenir des avantages en discutant avec des patrons qui sont en fait des salariés déguisés ayant peu ou prou les mêmes intérêts que vous , et qui de plus engagent l’État et/ou les collectivités publiques sans avoir à respecter aucune règle de la comptabilité et du contrôle des fonds publics...

La situation des syndicats du spectacle s'apparente, criminalité en moins, à celle des camionneurs américains d'avant-guerre, en ce sens qu'ils se sont octroyés le contrôle d'une activité avec la complicité de l'administration de tutelle.

Toutes ces généreuses conquêtes syndicales ont en effet pour but de permettre aux entrepreneurs en place d’empêcher l’émergence d'initiatives nouvelles, de rendre quasiment impossible l’arrivée de nouveaux intervenants dans la profession, lesquels n’auront jamais de quoi appliquer des minimums syndicaux délibérément irréalistes.

Une organisation telle que le SYNDEAC relève tout de même de ce qui s’appelle en droit français une bande organisée . Il s’agit d’une organisation ayant statutairement pour but d’aider ses adhérents à commettre des délits. Ce groupement pourrait être déclaré illégal, sur la base des mêmes motifs qui ont récemment permis à la Cour de Cassation de considérer comme illégaux les syndicats du Front National .

Au-delà de l'entrave à la démocratie économique que cela représente, c'est aussi et surtout à une normalisation rampante de la culture que l'on assiste, à un étouffement des démarches indépendantes dans ce domaine avec comme conséquence un appauvrissement de la matière première elle-même, avec ce que la culture, au sens plein du terme, emporte avec elle de plus précieux: sa force d'innovation et de remise en cause...

Les jeunes créateurs sont ainsi marginalisés et condamnés au travail au noir pendant que se développe une cour et des courtisans qui rendent de plus en plus un son parfaitement creux.

La mise en place des conventions collectives

Ces conventions méritent d’être présentées. Elles s’enchevêtrent joyeusement les unes les autres à tel point que certaines n’ont pratiquement pas de cadre d’application. Tout cela est trop récent pour qu’il y ait des décisions de justice. La plupart de ces conventions ne sont de toute façon pas appliquées. En effet, le ministère de la culture est totalement sorti du cadre classique d’application des conventions collectives.

Ainsi, la Convention collective de l’animation socioculturelle ne concerne que les seuls organismes sans but lucratif. Cette convention semble avoir été élaborée par des personnes n’ayant jamais ouvert un Code du travail , la plupart des centres socioculturels signataires de cette convention étant dans les faits des organismes à but lucratif.

La convention des Entrepreneurs de spectacles - artistes interprètes (dite des tournées) est encore plus originale car elle ne vise pas un champ économique déterminé, par exemple des entreprises relevant de tel ou tel secteur, mais des modalités d’exploitation. Elle concerne les entrepreneurs de spectacles qui engagent des artistes dans le cadre de tournées. Une tournée peut désigner un seul spectacle, " dès lors que les déplacements sont effectifs... ". Cette convention collective ne fixe que les conditions de rémunération des artistes et n’aborde pas la question des personnels techniques et administratifs des entreprises de spectacles...

Une troisième convention collective, dite des " théâtres privés " concerne les entreprises en lieu fixe, privées, non directement subventionnées de façon régulière par l’État et/ou les collectivités territoriales, du territoire national, se livrant en tout ou partie à des activités de spectacle vivant. Cette convention traite également de la rémunération des artistes, sans exclure les tournées, et établit des barèmes de rémunération parfois fort différents de ceux de la convention collective des tournées.

En principe, c’est l’activité dominante d’une entreprise qui détermine l’application d’une convention collective.

La Convention collective des parcs de loisir qui disposent le plus souvent d’installations de spectacle fixes et permanentes concerne également les artistes du spectacle. Cette convention collective intègre clairement un mécanisme de recours aux ASSEDIC comme technique de financement des emplois.

L’entrepreneur de spectacle qui autorise la retransmission télévisuelle devrait en plus appliquer la Convention collective des artistes engagés pour des émissions de télévision , ce qui n’est pas possible puisqu’une même entreprise ne peut appliquer des conventions différentes pour les mêmes salariés. Elle n’a donc été que très marginalement appliquée et ne sert plus à rien depuis que la Cour de Cassation, en février 1998 a rendu inopérants les modes de rémunération des artistes qu’elle organisait.

Le ministère ne s’est pas arrêté là. La Convention Collective Nationale des Entreprises d’Action Culturelle (dite du SYNDEAC) concerne les entreprises de création, de production ou de diffusion de spectacles vivants, subventionnés par l'État et/ou les collectivités territoriales (régions, départements, municipalités) mais exclut les théâtres nationaux et les théâtres privés. La convention ne définissant pas ce qu’est un théâtre privé, seules les compagnies de spectacles qui ne disposent pas d’une salle nous semblent concernées par cette convention, sous réserve qu’elles ne soient pas déjà concernées par la convention des tournées. L’application de la convention dépendra donc du fait de savoir si les artistes habitent ou non au-dessus du théâtre et doivent se déplacer pour jouer !

En l’absence d’une quelconque volonté de modifier les pratiques, l’anarchie juridique totale sur laquelle le ministère de la culture a bâti sa toile rend toute démarche d’élaboration d’une réglementation-légalisation des situations actuelles à l’identique totalement surréaliste.

La Convention collective de la variété et du jazz , concernerait à nouveau les mêmes entreprises lorsqu’elles changent de style pour présenter des spectacles de variétés et de jazz ! Cette convention est en phase de discussion depuis 1994. Ce n’est pas très grave, puisque l'accord qui définit son champ d'application a réglé les modalités de rémunération des délégués syndicaux salariés chargés de la négocier...

L’absence totale de professionnalisme de ces montages au regard du droit les rend souvent inopérants. Personne ne les applique, soit par méconnaissance, soit parce que cela ne tient pas la route juridiquement et économiquement. Ces conventions collectives ne respectent pas les principes de base du droit du travail en matière de délimitation de leur champ d’application. Une même entreprise pourrait avoir à appliquer jusqu’à trois conventions collectives simultanément pour les mêmes catégories de salariés.

Les secteurs du cinéma et du disque, plus liés à l’industrie et plus au fait des réalités économiques, ont été plus sérieux et n’ont pas demandé l’extension de leurs conventions collectives. Au contraire, c’est à un mouvement inverse que l’on a assisté. La presque totalité des conventions collectives du disque a été dénoncée en 1994 par les syndicats patronaux. Les négociations menées depuis n’ont pas abouti.

Dans le domaine du cinéma, les producteurs ont eu l’intelligence de ne pas faire étendre leurs conventions collectives. Elles s’appliquent donc uniquement aux entreprises adhérentes aux syndicats signataires. La convention de la postsynchronisation a également été dénoncée et a cessé de s’appliquer depuis avril 1997.

Les conventions collectives de l’édition littéraire et de l’édition musicale ne posent pas vraiment de problèmes.

Les Congés spectacles : une tirelire offerte par les pouvoirs publics aux syndicats

La caisse des Congés spectacles a été créée en 1939 afin de rendre applicable aux secteurs de la création artistique les dispositions de la réglementation des congés payés, obligatoires depuis 1936.

Les personnes qui emploient du personnel artistique de façon non-continue doivent s’acquitter de leurs obligations relatives aux congés payés en délivrant un chèque Congés spectacles au salarié, et en payant les cotisations à la caisse des Congés spectacles.

Le salarié adresse ensuite une fois par an à la caisse les chèques Congés spectacles qu’il a récoltés durant l’année auprès de ses différents employeurs et reçoit en retour la rémunération correspondante. La caisse des Congés spectacles délivre également les documents permettant aux salariés des secteurs du spectacle d’avoir droit aux mêmes avantages que les autres salariés en matière de congés payés .

La caisse des congés payés est gérée par une association loi de 1901, agréée par le ministre du travail. Tous les employeurs tenus par le droit du travail sont tenus de s’affilier à cette association et d’y acquitter les cotisations pour le personnel non permanent qu’ils emploient.

Les syndicats se constituent un patrimoine


Jusqu’au début des années 1990, pour percevoir une indemnité de congés payés de la caisse des Congés spectacles, il était nécessaire de cumuler 24 cachets par an. Néanmoins, les cotisations étaient payées par les employeurs quelle que soit la situation du salarié. La caisse des Congés spectacles conservait donc les fonds non réclamés, lesquels lui étaient définitivement acquis au bout de cinq années.

Cette règle des 24 cachets est désormais supprimée, mais les ressources des Congés spectacles restent néanmoins conséquentes. Ainsi, la quasi totalité des cotisations payées pour des artistes non résidents français se produisant en France n’est jamais réclamée. D’ailleurs, même s’ils les réclamaient, les frais de banque liés à l’encaissement dans un pays étranger des chèques émis par les Congés spectacles rendraient souvent l’opération sans grand intérêt.

La caisse des Congés spectacles se porte donc très bien. L’immeuble qui abrite son siège social à Paris, près de l’Opéra Garnier, abrite également les bureaux de nombreux syndicats et associations du spectacle. La caisse dispose d’un patrimoine conséquent géré par les syndicats qui la contrôlent. Les syndicats n’ont même pas d’obligation d’attribuer les sommes non réparties à des actions d’intérêt général, comme c’est le cas pour les sociétés civiles d’auteurs et d’artistes. Cette caisse est donc un joli cadeau des pouvoirs publics aux syndicats du spectacle. La caisse des Congés spectacles finance ainsi un journal envoyé gratuitement à toutes les entreprises adhérentes et aux salariés inscrits, journal qui se fait en retour un écho fidèle des positions du ministère de la culture et des syndicats.

Cela est d’autant plus scandaleux que depuis la suppression de la règle des 24 cachets, cette caisse ne sert à rien d’autre qu’à percevoir des frais de gestion et à permettre aux syndicats professionnels de gérer des fonds. On ponctionne une fois de plus de l’argent qui, au lieu d’aller à la création artistique, " engraisse " des bureaucrates intermédiaires. En effet, il suffirait de supprimer cette réglementation spécifique pour immédiatement faire profiter l’ensemble des entreprises culturelles d’une simplification et d’économies de gestion. La liquidation de cette entreprise permettra de connaître son patrimoine et l’utilisation qui en est faite. Cela risque évidemment de ne pas faire plaisir aux syndicats qui profitent de la bête depuis maintenant 60 ans. Cela explique aussi qu’aucune réforme sérieuse ne peut émaner de la concertation avec les organisations syndicales qui collaborent à cette mise en coupe réglée de la culture française.

La licence de spectacles,
ou la police politique du marché des spectacles


Afin de mieux contrôler les entreprises qui exercent des activités de spectacles sous forme commerciale et qui pourraient être par trop indépendantes, il existe une réglementation de la profession d’entrepreneur de spectacles. Cette réglementation est issue d’une loi de 1943 du gouvernement de Vichy qui voulait surveiller la moralité des spectacles. Elle a été largement reprise et complétée à la Libération.

En effet, l’activité de producteur de spectacle n’est pas libre en France... Ou alors, il faut mentionner dans ses statuts que l’entreprise a pour vocation de produire des spectacles en Europe hors la France, puisque la France est le seul pays d’Europe où existe une licence d’entrepreneur de spectacles .
Le ministère de la culture contrôle non seulement qui a le droit de faire du spectacle, mais également quel type de spectacle l’on est autorisé à produire.

En effet, il existe plusieurs catégories de licences, fonction du type de spectacles que vous avez le droit d’organiser ou du type de salle que vous avez le droit de gérer.

La réglementation du spectacle a normalement pour unique but de contrôler le respect du droit social puisque la licence ne peut être retirée qu’en cas d’inobservations graves et répétées des lois sociales. De fait, la rédaction des textes semble également permettre un pouvoir inquisitorial du ministère de la culture sur tout prétendant à l’activité de producteur de spectacle. En effet, la licence peut à tout moment être suspendue ou retirée si la commission de la licence, composée des représentants des syndicats et des sociétés d’auteurs complaisants, considère que le candidat n’offre pas " des garanties artistiques considérées comme suffisantes ". Il fallait tout de même oser... On tient à rester entre gens de bonne compagnie et on l’écrit.

La commission de la licence demande donc systématiquement au candidat de fournir son programme prévisionnel, ce qui revient à soumettre ses projets à une commission composée de concurrents potentiels, lesquels peuvent invoquer le fait que le candidat ne présente pas les garanties artistiques suffisantes pour éventuellement récupérer le projet artistique.

Il nous semble de toute façon que toute cette réglementation est largement anticonstitutionnelle. En effet, il ne peut être porté atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie que pour des motifs relevant de l’ordre public. Ne pas offrir de garanties artistiques considérées comme satisfaisantes par une commission composée de syndicalistes me semble difficilement pouvoir relever d’un motif d’ordre public quelconque.

Le mythe de l’intermittence a la dent dure
Il n’existe pas de statut d’intermittent


On entend couramment désigner sous le terme " d'intermittents du spectacle " les artistes et/ou les techniciens embauchés sur des contrats à durée déterminée auprès d’employeurs multiples. L’intermittence se caractérise par une alternance de périodes travaillées et non travaillées. Pour compenser cette précarité, des dispositions spécifiques ont été prises au bénéfice de ces salariés, en particulier en matière d'assurance chômage.

Le mécanisme des ASSEDIC a été institué précisément pour établir une solidarité entre ceux qui travaillent et ceux qui, à un moment donné de leur carrière, peuvent être privés d'emploi et par conséquent de revenu. C'est sur ces bases on ne peut plus louables que commence, dans le spectacle comme dans l’audiovisuel, le grand couac de l'intermittence.

D'abord on trouve sous ce " label " des salariés aux conditions de vie très hétérogènes, voire appartenant à des secteurs régis par des intérêts économiques antagonistes. Par exemple, des employés d'une institution intégralement subventionnée et des entreprises audiovisuelles privées, les travailleurs d’Eurodisney ou les saltimbanques d’une compagnie de spectacle de rue. Que peuvent avoir réellement en commun le technicien engagé pour une émission de jeux télévisés chez TF1, le serrurier d'un décor, le comédien employé " quasi " bénévolement au sein d’une petite troupe de théâtre, l’acteur reconnu et le clown de telle chaîne de fast-food ? C'est à dire des gens qui, outre leur différence de milieu et de culture, sont surtout séparés par d'importantes différences de rémunération.

Tel qu’il fonctionne aujourd'hui, le régime des intermittents n'est plus très fidèle au principe de la solidarité interprofessionnelle sur lequel il a été édifié. Le système a été totalement perverti au point que le financement des ASSEDIC, au lieu d'assurer un minimum de revenus à un travailleur privé d’emploi sert de source de financement conséquente à la production artistique.

Dans les métiers de la création artistique, on entend souvent dire qu’il y a 99 % d’artistes au chômage et peut-être avez-vous déjà cotisé pour ces pauvres chômeurs... N’ayons pas peur d’être iconoclastes. Tant mieux pour eux ! Ceux qui sont vraiment à plaindre, c’est les 1% d’artistes qui justement ne sont pas au chômage. En effet, dans ce métier, on ne devient professionnel que le jour où l’on est chômeur, ou plutôt, le jour où l’on a droit aux allocations chômage .

Tant que l’on n’est pas chômeur, on peut en effet difficilement exercer ce métier.

Contrairement aux idées reçues, le statut professionnel d'intermittent n'existe pas. Il n’existe pas non plus de contrat d’intermittence, ainsi que l’on peut pourtant le lire dans des rapports officiels du parlement.

En effet, à titre de comparaison, il existe bien un statut professionnel du journaliste, avec une commission qui délivre une carte de journaliste en fonction de critères précis. Cette carte donne accès obligatoirement à un statut social et à des avantages fiscaux. Il n’existe rien de tel dans le domaine du spectacle et de l’audiovisuel. Toute entreprise peut salarier des artistes ou des techniciens du spectacle sur des contrats à durée déterminée dans les mêmes conditions qu’une entreprise dont c’est l’activité principale, que cet artiste ait ou non des droits aux annexes spectacles de l’assurance chômage.

D’une façon générale, on confond souvent l’appellation d’intermittents du spectacle avec celle de travailleurs culturels... une catégorie socioprofessionnelle très vague, véritable bric-à-brac de métiers .

Le revenu des personnes bénéficiant du régime ASSEDIC des intermittents du spectacle comporte dans 90 % des cas, deux composantes indissociables : les salaires et l'indemnisation chômage.

La mauvaise gestion du système par les syndicats et l’absence de contrôle sérieux permet de cumuler également des droits d’auteur, des redevances d’artistes (pourcentages proportionnels aux ventes de disques et de cassettes audiovisuelles) et des revenus de fonctionnaires.

En entrant dans le régime des intermittents du spectacle, on découvre un milieu qui déforme profondément la conception du travail et qui intègre comme norme le droit à une assistance de l'État au bénéfice de personnes n’étant absolument pas dans la précarité. De telle sorte que les sommes versées par les ASSEDIC servent parfois à payer les impôts ou la maison de campagne.

Le statut est tellement dévoyé aujourd'hui qu'il peut servir à attribuer des revenus complémentaires aux salariés et à mettre à la disposition des employeurs une main d'œuvre déjà rémunérée, donc disponible même si on ne la paie pas toujours.

Quelques exemples de recours à ce système :
- La Cité de la musique, dont l’effectif global est de 180 person-nes, emploie en permanence une trentaine d’intermittents du spectacle, aussi bien artistiques que techniques.
- La Comédie Française " ne connaît pas " son effectif mais estime à une dizaine le nombre habituel d’intermittents dont l’engagement est laissé à l’appréciation des chefs de service.
- Le Théâtre de l’Odéon et de l’Europe sur un effectif total de 152 salariés, annonce 112 permanents et 40 intermittents dont les 3/4 sont fidélisés. Les non fidélisés le sont généralement pour des raisons de promotion professionnelle ou parce qu’ils travaillent momentanément ailleurs.
- Le Théâtre national de la Colline : ne pratique apparemment pas de bilan social, mais sur 125 salariés, une bonne quarantaine sont intermittents. La fidélisation est très importante (impossible d’obtenir des chiffres) et l’on avoue clairement des problèmes de gestion devant ce contournement flagrant du droit social.

Au sein des moyennes, petites et micro structures, le pourcentage des intermittents s’accroît considérablement. Ainsi :
- Le Théâtre Espace Planoise fonctionne avec une dizaine de salariés dont sept sont intermittents, essentiellement dans le domaine technique. La majorité de ces intermittents est fidélisée. Les responsables reconnaissent ne pas avoir d’autre choix pour assurer la pérennité du théâtre. La tendance à la diminution des budgets est inversement proportionnelle à l’augmentation du nombre d’intermittents. Sans eux, le théâtre devrait fermer ses portes! La situation est d’autant plus fragile que beaucoup d’entre eux avouent avoir de plus en plus de difficultés pour trouver d’autres cachets ailleurs.
- Au Théâtre de Sartrouville, les chiffres demeurent confidentiels. On reconnaît toutefois que les intermittents y sont largement majoritaires, qu’ils sont aussi nombreux dans le domaine technique qu’artistique, que ce sont toujours les mêmes collaborateurs et qu’au fil des saisons, leur nombre s’accroît.

Les administrateurs de deux autres théâtres de l’ouest parisien reconnaissent les mêmes soucis quant à la gestion de leur entreprise. Une majorité d’intermittents (plus de 70 %), une fidélisation totale avec un noyau dur d’intermittents " permanents " et pour les autres, des problèmes pour obtenir suffisamment de cachets.

Pour ce qui est des très grosses sociétés, comme TF1 par exemple, le bilan n'est pas très différent.

Environ 4 000 salariés et 2 000 intermittents. Parmi eux 1 500 techniques et 500 artistiques. Ici encore, on note une très grande fidélisation. Aucun changement depuis cinq ans.

À Arte, sur un effectif de 280 permanents, on note environ 400 intermittents et pigistes confondus. Là encore une forte fidélisation est observée. Le service des Ressources Humaines, conscient des limites morales de ce système, essaie dans la mesure du possible de requalifier régulièrement certains des plus fidèles intermittents et de les intégrer ainsi parmi les permanents.

Mais nous sommes à Arte, la chaîne humaniste qui raisonne comme les chaînes publiques, c'est-à-dire avec la conscience d'avoir à terme à moraliser ce régime qui d'un côté surpaie et de l'autre sous-emploie, en particulier en transformant des postes d'intermittents institutionnalisés en permanents, par le biais de la requalification .

Mais, qu'en est-il ailleurs, dans les grandes entreprises de l’audiovisuel, comme dans les petits théâtres qui ne survivent cahin-caha que grâce à ce régime ?

Que ressort-il du Protocole du 28 mars 1997, censé réformer le rôle et l'engagement de l'État, réduire la précarité, combattre la fraude ?... Très peu de mesures concrètes, si ce n’est réaffirmer une volonté politique d’améliorer le système tout en maintenant le statut quo dans ses grandes lignes.

Pourtant, officiellement, le ministère réserve les aides et subventions de l'État aux structures qui respectent les obligations sociales...

Mais dans le même temps, les fonctionnaires du ministère de la culture reconnaissent ne pas avoir à contrôler ce volet qui incombe de fait aux ASSEDIC (organismes de droit privé non soumis à la tutelle de l’État, selon l’article L. 351-8 du Code du travail) et aux inspecteurs du ministère du travail.

Le ministère de la culture vérifie les demandes de subventions, le bien-fondé de la requête, et en principe l'utilisation effective du budget à la fin de l’exercice comptable et recoupe les informations avec le service des licences.

Le gouvernement de son coté considère qu’il n’a pas à se substituer aux partenaires sociaux. Il n’y a donc jamais de contrôle effectif sur le droit social !

Chacun se renvoie la balle sur un chapitre que les différentes autorités devraient au contraire se faire un point d'honneur de se disputer . Il faut reconnaître que pour mettre fin au dysfonctionnement de ce régime, on pourra difficilement faire l'économie d'un réexamen complet du fonctionnement de la production artistique et d'une harmonisation progressive des rôles comme des statuts.

En attendant qu'un paysage plus équilibré se redessine, et pour préparer les esprits à cette nécessité de justice sociale et économique, au moins pourrait-on instaurer des contrôles plus sérieux qui mettent fin au moins aux non-sens les plus graves.

Le jeune musicien, par exemple, qui aurait vraiment besoin d’avoir accès aux allocations chômage aura en fait le plus grand mal à atteindre le chiffre de 507 heures, simplement parce que la plupart de ses emplois ne seront pas déclarés. Le ministère de la culture qui subventionne ou organise lui-même de nombreuses manifestations ayant recours au travail dissimulé est grandement responsable de cette situation.

D'un autre coté, la plupart des salariés relevant actuellement du régime des intermittents ne devraient pas relever de ce régime.

Les télévisions et les radios publiques utilisent de très nombreux intermittents pour des fonctions qui sont en fait permanentes. Un réalisateur, par exemple, qui travaille sur une émission mensuelle sera ainsi souvent salarié de façon intermittente alors qu’il devrait avoir un emploi permanent. Mais ce statut offre le double avantage de maintenir, voire d’augmenter les salaires, sans que cela ne coûte un centime de plus au budget de l’entreprise. Il suffit pour cela de diminuer régulièrement le nombre de jours déclarés, en maintenant le salaire. Quant aux journées déclarées chômées, et qui sont en fait travaillées, elles sont prises en charge par les ASSEDIC.

Il en va de même dans les secteurs du spectacle et du disque. On ne paie qu’exceptionnellement les répétitions qui correspondent pourtant à des jours de travail.

Certains salariés sont ainsi parfois depuis 10 ans attachés à une entreprise de télévision, ne travaillent que pour cette entreprise de façon plus ou moins régulière, et relèvent néanmoins des ASSEDIC au titre des intermittents. Ces salariés pourraient pourtant juridiquement prétendre être titulaires de contrats de travail à durée indéterminée.

Le ministère de la culture essaie de faire croire dans cette affaire qu’il n’est pas possible de vendre un spectacle sans faire de pertes et que l’aide de l’État est obligatoire. C’est hélas presque toujours vrai aujourd’hui, mais aucunement fatal.

Ce recours systématique à l’intermittence et l’intervention désordonnée du ministère de la culture dans l’économie privée dérégulent le marché et nuisent considérablement à la possibilité pour les entreprises réellement privées d’intervenir dans certains secteurs.

Par ailleurs, une part non négligeable des salariés bénéficiant du régime des intermittents devrait ressortir du régime de la fonction publique. Tous ces établissements ne devraient donc pas avoir recours à des intermittents de droit privé mais à des contractuels de droit public ou à des fonctionnaires.

La solution, c’est de supprimer l’intervention de l’État au niveau de la production et d’imposer des prix minimum, comme cela a d’ailleurs été fait dans le secteur du livre. Il est en effet nécessaire que le prix payé pour l’achat des spectacles permette de payer les artistes. Si la réglementation sur le commerce était correctement appliquée, il n’y aurait d’ailleurs même pas besoin de fixer des prix minimum. La vente à perte étant en principe interdite, il existe déjà une réglementation sur les prix anormalement bas qu’il suffit d’appliquer, parallèlement à la mise en place de contrôles sérieux, indépendants et professionnels...

L’interdiction de la vente à perte remettrait l’ensemble des entreprises dans un cadre de concurrence loyale et l’on pourrait ainsi être en mesure d’appliquer le droit du travail.

La loi du 1er juillet 1996 sur la loyauté et l’équilibre des relations commerciales interdit en effet les offres de prix ou pratiques de prix de vente abusivement bas aux consommateurs par rapport aux coûts de production, de transformation et de commercialisation, dès lors que ces offres ou pratiques ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’éliminer d’un marché ou d’empêcher d’accéder à un marché une entreprise concurrente ou l’un de ses produits. Cette loi a concerné tout particulièrement la production et la distribution phonographique, mais ses possibilités d’application peuvent être beaucoup plus larges et intéresser d’autres secteurs des métiers de la culture.

Il semble tout à fait possible d’appliquer cette réglementation à une association qui casse les prix, par exemple dans le domaine des enseignements artistiques. Les offres de services dont les prix sont anormalement bas par rapport aux coûts de production peuvent donc être concernés, sous réserve toutefois que cette pratique ait pour effet d’éliminer un concurrent ou l’un de ses produits ou services, ou de l’empêcher d’accéder à ce marché.

Les secteurs du spectacle, de l’édition littéraire et de la formation professionnelle devront à terme tenir compte de cette nouvelle réglementation.

Cette loi, si elle était appliquée, aurait donc quelques chances de moraliser l’usage de la subvention publique. Les prix de ce marché deviendraient certes plus élevés, donc plus discriminatoires. Mais pour ménager l'accès de tous à la culture, il serait plus sain alors d'instaurer, comme on l'a fait dans d'autres domaines, des mécanismes de " chèque culture ".

La mairie de Paris a déjà initié des démarches proches (18 h 18 F pour le cinéma - 2 places pour le prix d’une au théâtre). De tels mécanismes pourraient être étendus aux scolaires, aux étudiants et à toutes les personnes qui n’ont pas les moyens de s’offrir des places de spectacle, des disques, des livres. Ce mécanisme a également l’énorme avantage de ne pas nécessiter un gros budget de mise en place. Les postes de fonctionnaires qui seront libérés sur l’artistique pourraient être affectés à des tâches de contrôle afin que les entreprises culturelles puissent à nouveau évoluer non seulement dans un État de droit, mais dans un esprit plus ouvert, et sans doute plus créatif...

 

© Roland LIENHARDT - 1998

 
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