Chaque mois, l'essentiel de l'actualité du droit et de la gestion de la création artistique.
Présentation

La lettre de Nodula


 


Le Sommaire des derniers numéros

Le Petit bréviaire de la corruption de la culture et de la communication

L'article du mois
Actualité
Le courrier des lecteurs
L'équipe rédactionnelle
L'index des articles
Abonnements annuels ou au numéro
Commandes d'articles
Sélection d'articles

Les formations
Présentation
Prix et modalités d'inscription
Thèmes de formation

Forum de discussion

Nos publications
Cultivez-vous !...
Les dossiers de Nodula

Nous écrire

La Lettre de Nodula
30 rue Feydeau
75002 Paris
Tél: 01 42 60 30 79
E-Mail : info@nodula.com

SARL au capital
de 47 259 Euros
RCS Paris B 351.734. 488

© Nodula

Conception du site :
Internet Brothers -Nodula








Chaque mois, l'essentiel de l'actualité du droit et de la gestion de la création artistique
  
XIV
Où va l’argent des auteurs ?


Quand on s’aperçoit que le droit d’auteur à la française est économiquement plus intéressant pour les producteurs que le système du copyright américain – l’histoire d’une formidable escroquerie intellectuelle qui ressemble également souvent à de l’escroquerie tout court …


Il n'est pas possible de porter un regard sur la gestion de la culture en France sans parler de la SACEM, de loin la plus importante de nos sociétés d’auteurs .
Tout le monde s'accorde à saluer son efficacité et sa rigueur en matière de perception de droits. Là où le bât blesse, c'est sur les moyens, souvent contraires à la loi, mis en œuvre pour obtenir de tels résultats, sur la façon dont cette manne est répartie, et enfin sur le comportement de plus en plus " impérial " de cette institution.

Par sa position dominante, la SACEM répond parfaitement au profil de " l'Imperium " : non seulement elle jouit, en contravention avec le droit sur la libre concurrence, d'un monopole de fait sur la musique, à telle enseigne que beaucoup pensent qu'il s'agit d'une administration et non d'une société privée, mais elle affiche désormais ses prétentions à exercer une influence prépondérante sur le marché du droit d'auteur en France, en lançant, à travers le secteur du multimédia, une sorte d'OPA sur les autres sociétés.

Si une bureaucratie d'argent comme la SACEM, dispose du pouvoir d'intimider la justice et même de conduire l'État, arbitre et garant des lois, à fermer les yeux sur ses agissements, c'est la dissolution progressive de la démocratie qui est en train de se jouer.

Examinons dans le détail ce que recouvre notre critique :

SACEM signifie : Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique. À l’énoncé de ce sigle, la première question qui peut venir à l'esprit est de savoir ce que les éditeurs viennent faire dans un tel cercle ? On touche là à un des plus gros problèmes posé par la SACEM.

Ce vice de principe est aggravé encore par le fait que l’édition de musique étant aujourd’hui réalisée par la gravure d'un disque plutôt que par l'édition d'une partition, tant qu'à trouver des agents économiques dans les assemblées d'auteurs, il serait plus normal que ce soient les producteurs qui y figurent. Ils sont souvent à l'origine de la première divulgation de l'œuvre par le biais du phonogramme, après avoir pris les risques financiers sur des enregistrements dont les coûts sont sans commune mesure avec ceux qu’entraîne la réalisation d'une partition, effectuée très facilement aujourd'hui par les moyens informatiques.

Survivance d'une époque révolue où les éditeurs graphiques prenaient à leur charge d'imprimer les partitions puis de faire le tour des kiosques à musique pour les vendre aux chefs d'orchestre, les éditeurs continuent non seulement d'occuper une présence statutaire à la SACEM mais reçoivent une part importante des droits collectés sur les œuvres. L'Édition musicale, récupère souvent au moins 50 % des droits de reproduction mécanique et 1/3 des droits de représentation.

Les éditeurs qui, de par la loi, ne sont pas titulaires de droits d’auteurs mais peuvent néanmoins être membres des sociétés d’auteurs, sont rémunérés de fait par la SACEM comme ayants-droit.

Dans le projet de loi qui a abouti à la loi de 1985, laquelle réglemente pour la première fois en France les sociétés d’auteurs, les éditeurs n'étaient pas reconnus comme associés possibles. Le texte ne parlait que des auteurs et de leurs ayants-droit. C’est lors de la seconde lecture au Sénat, après pressions des lobbies, que les éditeurs ont sauvé " in extremis " leur " nid de coucou". La SACEM avait eu chaud. Charles LEDERMAN, représentant du groupe communiste au Sénat fut l'un des rares élus à s'être opposé à cet amendement illégitime dénonçant la présence d'intérêts économiques dans les collèges d'auteurs alors que ces derniers ont déjà à subir les contraintes des éditeurs sur le marché.

Philippe DOUSTE-BLAZY, alors qu'il était encore ministre de la culture, est revenu plus tard sur le sujet en déclarant que " le régime des sociétés de perception et de répartition des droits définis par le titre II du livre III (du Code de la Propriété Intellectuelle - CPI) ne permet pas à ces sociétés de comporter parmi leurs sociétaires des usagers des œuvres dont elles assurent la gestion collective. Une telle participation serait contraire à la volonté du législateur de 1985 de constituer des organismes représentatifs des titulaires des droits de propriété littéraire et artistique ". Il est vrai que le ministre disait alors n’importe quoi puisque le Code reconnaît ce droit aux éditeurs depuis 1985, mais il n’avait visiblement pas tout compris... Or, lorsqu’un auteur ou un producteur aujourd'hui va déposer ses œuvres à la SACEM, et cela à l’occasion de leur début d’exploitation, celle-ci lui demande systématiquement quel est l’éditeur, et fait croire aux auteurs qu’il est obligatoire d’en avoir un alors que c'est totalement faux. On pousse ainsi les jeunes auteurs, si ce n'est pas déjà fait, à se lier avec un éditeur qui ne sera souvent qu’un accapareur de droits ou, dans le meilleur des cas, un banquier pratiquant des méthodes proches de l’usure.

Si en matière de droits de représentation, la répartition des droits entre auteur et éditeur est encadrée par le règlement de la SACEM, ce qui n’empêche pas certains éditeurs de se mentionner également comme co-auteurs et de prendre plus que leur part, la répartition est libre en matière de droit de reproduction. De ce fait, un certain nombre d’auteurs débutants, dont les préoccupations et les compétences sont loin de l'ordre juridique, cèdent jusqu’à 95 % de leurs droits de reproduction à l’éditeur ! Le producteur exige souvent des artistes-auteurs la cession des droits d’édition pour entrer en studio et enregistrer les premières maquettes de disques.

Dans les documents relatifs à la répartition qu’elle publie chaque année, la SACEM se garde bien de faire apparaître le tableau des ventilations entre les différentes catégories d'associés.

La SACEM présente ses chiffres en parlant de répartition aux ayants-droit et non de répartition aux auteurs, et pour cause ! Si elle distribue bien, comme elle l'affirme près de 80% de ce qu'elle perçoit, et encore, sans prendre en compte les revenus d’une trésorerie pléthorique, il est clair que ce ne sont pas les auteurs qui en profitent principalement.

Que font les éditeurs à la SACEM ?

Au-delà du fait que le recours à l'éditeur n'est pas obligatoire, les cessions dont ils bénéficient présentent de surcroît un caractère largement fictif. Si l'auteur en effet, en adhérant à la SACEM cède ses droits à cette société, comment peut-il les céder dans le même temps à un éditeur ?

La SACEM, qui a acquis les droits d’un auteur, va en effet les acquérir une seconde fois auprès de l’éditeur.

La SACEM semble ne s'être jamais posée la question de la validité de la cession à l’éditeur d’un droit qui lui avait déjà été cédé. Elle paie cependant une partie des droits aux éditeurs, conformément au contrat de cession intervenu entre l’auteur et l’éditeur.

Pourtant, sans ambiguïté possible, au terme de ses propres statuts, l'adhésion à la SACEM emporte cession exclusive à cette dernière des droits de représentation et de reproduction.

Il n'y a que l'auteur dans cette affaire pour agir de bonne foi. Il n'a aucun moyen de percer les raisons de tels montages structurels que sa propre société de protection lui présente comme impératifs.

La plupart des jeunes auteurs sont ainsi persuadés qu’il est aussi nécessaire d’avoir un éditeur pour percevoir ses droits par le biais de la SACEM que d'avoir un numéro d'assuré pour être remboursé par la Sécurité Sociale.

Victimes d'un véritable abus de confiance, ils se retrouvent souvent complètement phagocytés et dans tous les cas dépossédés d'une partie de leurs revenus.

La SACEM agit délibérément au préjudice de l'auteur qu'elle est censée protéger, puisqu'elle soustrait une partie des redevances qui lui sont dues en vertu d'un contrat qu'elle sait entaché de nullité pour défaut d'objet.

L'acte frauduleux repose d'une part sur le fait de verser indûment une partie du revenu de l'auteur à l'éditeur de musique, d’autre part sur le fait que ce versement a lieu sous forme de droits d'auteur et bénéficie ainsi d'avantages sociaux et fiscaux tout aussi conséquents qu’ils sont dénués de fondement.

Au regard des éléments de droit, on peut considérer que la SACEM commet à cet égard un véritable délit d'escroquerie car :

- elle trompe l'auteur en lui faisant croire que le montage juridique auquel il souscrit est valable, indispensable et protecteur de ses intérêts ;
- elle détourne frauduleusement une partie importante des sommes qui sont dues à l’auteur ;
- elle rémunère enfin l'éditeur au moyen de droits d'auteur en fraudant au passage le fisc et la sécurité sociale .
Quant à l'éditeur, il est passible du même chef d'inculpation pour s'être fait octroyer une partie des redevances de l'auteur par le biais de la SACEM/SDRM sur la base d'un contrat d'édition illicite.

Compte tenu que la SACEM, par son ascendant, est de fait une bonne négociatrice et que si elle ne répartit pas de façon équitable, elle perçoit néanmoins à un très haut niveau, on pourrait considérer que bon an mal an les auteurs s'y retrouvent plus largement qu’en allant eux-mêmes à la pêche de leurs droits et que cela vaut bien quelques arrangements et entorses juridiques.

Le réalisme commanderait alors de s'arranger avec la morale. Eh bien, surtout pas ! Un réalisme bien placé et une vraie morale ont fort heureusement sort lié.

Il faut bien avoir conscience en effet que seuls les auteurs confirmés profitent de ces mécanismes qui en revanche permettent de " plumer " les débutants, sans compter que d'une façon plus générale il est particulièrement malsain pour notre vie culturelle nationale que des règles de droit soient aussi massivement détournées.

Cela fausse la concurrence, appauvrit la diversité des dynamiques culturelles, inhibe enfin l'émergence d’initiatives nouvelles, à plus forte raison l'apparition de sociétés d’auteurs alternatives qui ne bénéficieraient assurément pas de la même bienveillance de la part des pouvoirs publics, témoins attentistes jusqu'à ce jour de toutes ces transgressions.

A un tel point, du reste, que l'on est en droit de se demander si cette tolérance de l'État qui revêt la forme d'un énorme cadeau, n'est pas payée de retour.
La SACEM rend en effet bien des services. Elle intervient, par exemple, dans un certain nombre d’associations mises en place de façon illégale par le ministère de la culture et en finance même quelques-unes.

En 1997, par exemple, au titre de l'aide à la promotion et à la production du spectacle vivant, la plus grosse subvention qu'elle ait versée l'a été à Manon LANDOWSKI, sœur du directeur de la musique et de la danse au ministère de la culture, à savoir Anne CHIFFERT . Dans la même veine, on note également une subvention de la SACEM à CEFEDEM, association illégale, comme on l'a vu précédemment, qui vient d'être intégrée dans le tout nouveau Centre national de la danse.

La SACEM assiste également la puissance publique française à l'échelon international. Ainsi certains auteurs étrangers ne peuvent adhérer chez elle qu’avec l’accord de la société de droit de leur pays d'origine. Quand on sait que les responsables de ces sociétés sœurs sont parfois nommés par les gouvernements locaux (pas toujours très passionnés par la liberté d'expression et la démocratie) et non par les auteurs, et que ces derniers ne perçoivent en définitive qu’une toute petite partie de leurs droits, on comprend mieux que les facilités ainsi faites à des gouvernements étrangers amis de la France puissent procurer quelques compensations occultes à ceux qui en procurent les moyens.

Si le mécanisme de captation par les éditeurs des droits d’auteur est le préjudice le plus important commis au détriment des auteurs, il n’est hélas pas le seul.

Une partie conséquente des droits versés au titre des auteurs ne bénéficie pas forcément à ceux qui ont pris part à la création. Au premier rang des spoliés figurent les auteurs d'adaptation.

De la même façon que les éditeurs gardent leurs privilèges grâce à la SACEM, celle-ci conserve souvent aux auteurs originaux des œuvres musicales, ainsi qu'à leurs héritiers, la totalité des revenus de l'œuvre adaptée, alors que l'adaptation figure aujourd'hui parmi les fers de lance de la production contemporaine, quand elle ne va pas jusqu'à relever de l'essence même de certains genres musicaux. C’est le cas du jazz, où l'artiste-interprète, souvent improvisateur, peut " tisser " à l'infini autour d'un thème, voire d'une simple grille.

Adapter une œuvre en musique, c’est créer une œuvre nouvelle par transformation d’une ou plusieurs œuvres préexistantes. Il peut alors s'agir d’une modification de l’orchestration ou du texte de la chanson, souvent à l’occasion de sa traduction, d’une interprétation réalisée par improvisation et/ou variation d’un thème.

Du reste, l’article L.122-3 du CPI énonce que l’auteur d’une adaptation jouit de la protection du droit d’auteur sur son œuvre. Le code précise cependant que cette adaptation ne doit pas causer de préjudice aux droits du ou des auteurs de l’œuvre originale et qu'on doit obtenir une autorisation, de leur part, ce qui est tout à fait normal.

Les arrangeurs et adaptateurs ne sont pas toujours comptés dans la répartition des droits, alors que leur nom est pourtant mentionné au crédit de création des album.

À ce titre, la société d’auteurs pourrait même être accusée de contrefaçon car elle délivre une autorisation de reproduction ou de représentation sur une œuvre avec un bulletin de déclaration qui ne comporte pas la signature de tous les auteurs.

Le ministère de la culture pourrait également intervenir et faire jouer son pouvoir de tutelle pour veiller à ce que La classification des œuvres adoptée par la SACEM respecte la loi sur le droit d’auteur. Mais là encore, silence assourdissant.

Pour clore cette énumération de manquements et d'infractions, il faut parler enfin de ceux que l'on peut appeler les exclus de la SACEM, qui ne sont ni rémunérés ni nommés.

D’importantes catégories d’auteurs sont en effet occultées non seulement dans la répartition des droits, mais aussi dans la simple reconnaissance de leur travail créatif.

C'est le cas des auteurs d’un certain nombre d’œuvres relevant du régime de la collaboration, et qui sont alors la propriété commune des coauteurs.

En foi de quoi, lorsque la SACEM négocie dans le cadre de ses contrats généraux ou particuliers l’exploitation des droits sur les œuvres de son répertoire, elle ne peut le faire s’agissant des œuvres de collaboration que si elle représente vraiment l’ensemble des coauteurs. Or, comme elle n’admet pas la possibilité d’adhésion de certaines catégories d’auteurs qui ont par ailleurs le statut de coauteurs des œuvres en question, ces auteurs là passent purement et simplement à la trappe. C'est le cas en particulier des vidéomusiques. La SACEM gère les droits des auteurs-compositeurs de la musique. Elle se fait fort de représenter les réalisateurs, mais oublie souvent les chorégraphes, quand bien même la partie visuelle du produit composite relève essentiellement de ce genre.

Le succès de certains titres comme la Lambada , la Macarena, Un dos tres, ou plus récemment encore, Around the world par exemple, est largement dus au clip et à sa chorégraphie.

Ce qui n'empêche pas que les chorégraphes sont exclus de la répartition des droits générés par les clips. Parfois même, on exclut par la même occasion le réalisateur en lui interdisant par contrat de déposer son œuvre. Dans de tels cas, les auteurs de la musique et leur éditeur s’accaparent la totalité des droits perçus au titre de ces œuvres de vidéomusique.

La SACEM ferme les yeux sur ce problème pour ne pas se mettre à dos la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques) avec laquelle elle partage par ailleurs de gros intérêts stratégiques. On voit encore là le poids de vieux modèles académiques auxquels plus personne ne croit mais qui ont le mérite de servir de justification au maintien de privilèges matériels et corporatifs. La SACD considère les chorégraphies des vidéo-clips comme de simples habillages techniques.

C’est bien sûr un chorégraphe issu du sérail couvé par la Culture et qui ne devrait même pas, en sa qualité de fonctionnaire de fait, bénéficier de droits d’auteurs, qui décide quelles sont les chorégraphies de ses pairs dignes de prétendre à la qualité d'œuvre plénière ouvrant droit à attribution de redevances.

Ce qui rend la chose encore plus inacceptable, c'est que la plupart des chorégraphies contemporaines reconnues comme telles sont en général de pures créations de danse, dénuées de tout aspect narratif. À tel point que ce sont souvent les administrateurs ou les responsables de communication des compagnies qui s'occupent de rédiger un livret qui ne sera en général pas pris en compte par le chorégraphe, histoire de rentrer dans la norme intellectuelle des octroyeurs de subventions.

La SACEM/SDRM délivre allègrement des autorisations de reproduction et de représentation de vidéomusiques en méconnaissance des droits de l'auteur chorégraphe. Elle se livre donc à une exploitation de l’œuvre sans l’autorisation de l’un de ses coauteurs. Cette exploitation des œuvres à laquelle seule une partie des coauteurs est associée, tombe bien sous le coup du délit de contrefaçon...

Bilan final de tous ces escamotages, la part des droits répartis par la SACEM aux auteurs des œuvres est, semble-t-il, bien mince.

Notre enquête à la recherche de ces chiffres a rencontré les mêmes difficultés et les mêmes mystères qu'une chasse au trésor . L’analyse des données disponibles nous permet d'estimer que leur montant global oscillerait entre 10 et 30 % des sommes perçues.

Le Canard Enchaîné, dans un article en date du 25 février 92, écrivait à propos de cette question, que le pourcentage s’élèverait seulement à 8,6 %. À notre connaissance, le journal n'a fait l'objet d'aucune attaque en diffamation ni même d'un droit de réponse de la part de la SACEM.

Toutes ces irrégularités venant de la SACEM sont graves car elles touchent à l'essentiel de ce qu'elle a pour mission de préserver et de défendre : les droits d'auteur. En application de l’article L. 321-11 du Code de la Propriété Intellectuelle, le ministère de la culture serait fondé à demander à la justice de prononcer la dissolution de la SACEM et à lui interdire en attendant, de poursuivre ses activités de recouvrement.

Les auteurs n’auraient pas grand-chose à craindre de cette décision, le personnel et les outils de la société dissoute pouvant parfaitement être réutilisés par de nouvelles sociétés civiles, comme ce fut le cas pour la SPADEM par exemple.

Le tout étant que d'indéniables compétences et d'importants moyens puissent retrouver le chemin des vocations premières, c’est-à-dire le développement de la création artistique et la protection de ses intérêts professionnels. Bien sûr, les éditeurs seraient exclus de cette configuration nouvelle. La part ainsi récupérée permettrait aux auteurs de retrouver l'intégralité de leurs droits, de reconnaître d'autres catégories d'auteurs aujourd'hui ignorées et même, de pondérer le coût de la musique, c'est-à-dire d'en étendre l'utilisation et la jouissance publique.

La mésaventure SPADEM : l’indépendance à la trappe ou le sort réservé aux francs-tireurs


Il existait une société d’auteurs qui n’hésitait pas à critiquer le ministère de la culture. Cette société, née au siècle dernier, avait réussi à conserver une certaine indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics. La SPADEM défendait les droits des artistes dans le domaine des arts plastiques et graphiques. Dans ce domaine, il y avait fort à faire et des lobbies très influents. En effet, les premiers diffuseurs d’œuvres relevant des arts plastiques sont les musées, dont l’immense majorité dépend de l’État ou des collectivités publiques territoriales. Ces musées organisent de très nombreuses expositions. Et, bien entendu, le ministère de la culture n’est pas très regardant quand il est producteur sur le respect des droits dûs aux auteurs.

La SPADEM avait donc pour cheval de bataille de faire reconnaître le droit des plasticiens en matière d’exposition et de citation de leurs œuvres.

La SPADEM bataillait également pour faire reconnaître les droits des plasticiens auprès des commissaires-priseurs et des galeries qui reproduisent souvent les œuvres dans le cadre de leurs catalogues en invoquant l’aspect promotionnel et sans rien vouloir payer.

La SPADEM avait même osé batailler pour l’application du " droit de suite ". En effet, le CPI reconnaît aux auteurs d’œuvres graphiques et plastiques un droit à percevoir 3 % du prix des ventes de leurs œuvres faites aux enchères publiques ou par l’intermédiaire d’un commerçant. Cette réglementation a pour but de faire profiter l’artiste de l’évolution de sa cote afin que des artistes célèbres soient financièrement associés au succès de leurs œuvres.

Un décret doit venir déterminer les conditions dans lesquelles les auteurs feront valoir leurs droits à l’occasion des ventes. Celui-ci se fait désirer depuis 1957.

En attendant, on applique la loi précédente, qui date de 1920. Mais cette loi ne concerne que les ventes réalisées par les commissaires-priseurs dans le cadre d’enchères publiques.

Le droit de suite ne s’applique donc toujours pas aux ventes réalisées par les commerçants. Il convient de savoir que 60 % des ventes réalisées en France par les galeries privées émanent de commandes publiques. Le droit de suite ne plaît donc pas forcément aux pouvoirs publics.

La SPADEM a eu l’outrecuidance d’attaquer le ministère de la culture. Le Conseil d’État a condamné l’État au motif que, en l’absence d’une modification législative de l’article 42 de la loi de 1957 , le gouvernement avait l’obligation d’assurer la pleine application de cet article en prenant, dans un délai raisonnable, les dispositions réglementaires nécessitant sa mise en œuvre.
Toutefois le Conseil d’État n’a pas octroyé à la SPADEM les dommages-intérêts qu’elle réclamait, estimant qu’il ne lui était pas possible de calculer le préjudice que la carence des pouvoirs publics lui avait causé.

C’est la première et unique fois qu’une société d’auteurs s’est attaquée au ministère de la culture.

Curieusement, la SPADEM est la seule société d’auteurs à avoir fait l’objet de critiques dans le rapport du ministère de la culture sur les sociétés d’auteurs de 1993.

Encore curieusement, la SPADEM n’a pas réussi à récupérer les sommes qui lui revenaient de la copie privée, les autres sociétés d’auteurs traînant peut-être un peu plus que nécessaire afin de mettre la SPADEM en situation de gestion difficile. Le plus important des associés de la SPADEM, la succession PICASSO, s’est retiré. Finalement, la SPADEM a été mise en liquidation en 1996.

Il est vrai que cette société n’était pas exempte de critiques quant à sa gestion. L’association SPADEM avait déjà été déclarée en règlement judiciaire en 1988. La société civile SPADEM avait été autorisée à poursuivre son activité dans le cadre d’un plan de redressement. Elle venait de vendre l’immeuble de son ancien siège social et la situation avait été considérée comme apurée en 1993.

Pour un total de perception de 45 MF en 1990 et de 27 MF en 1991, la SPADEM avait un budget de fonctionnement annuel de 12,5 MF. Sur ces deux exercices, la gestion de la SPADEM, dont les retenues pour frais de gestion sont statutairement encadrées, accusait donc à nouveau un déficit après encaissement des revenus financiers de 3,44 MF.

Nous avons contacté l’ancienne directrice-gérante de la SPADEM, Martine DAUVERGNE, afin d’avoir davantage d’explications. Elle prétend en effet que la mise en liquidation de la SPADEM a été directement pilotée par le ministère de la culture, la SACEM et l’ADAGP, afin de récupérer les artistes plasticiens et que, si on lui avait reversé dans les délais les fonds en provenances de la copie privée, la SPADEM n’aurait pas eu de problèmes financiers. Nous n’avons pas eu suffisamment d’éléments du dossier pour nous permettre un avis sur la question.

Toujours est-il que la liquidation de la SPADEM a été étroitement gérée par le ministère de la culture qui a tout fait pour pousser les artistes plasticiens et les photographes à rejoindre la société labellisée ministère, l’ADAGP, oubliant au passage de rester neutre et impartial.

 

© Roland LIENHARDT - 1998

 
  Retour en haut de la page